Le gros Joker du petit bâtard
Le Shogun, c'est pas le rigolo du coin que tu peux chambrer avec des blagues salaces et une tape dans le dos balancée entre deux verres de saké. C'est plus le mec qui paye pas de mine avec de tout petits yeux au milieu d'un visage bien rond et une grosse voix rédemptrice bi-optionnelle : la mort ou la déchéance des droits.
C'est ainsi que naît l'histoire des Ronin. 47 mecs qui sentent pas forcément très fort, mais à qui on dit quand même de se tenir à l'écart.
Les costumes, les maquillages sont plutôt bien faits, c'est le premier bon point du film.
Le prologue présente la traque d'une vilaine créature, gigantesque de surcroît et presque indescriptible, par une horde de samouraïs enragés. Cette scène met d'emblée en avant le versant onirique de l'histoire, avec des images de synthèse somme tout assez soignées, monstres ou décors, mais aussi capables de rebuter le spectateur.
On découvrira au fil du récit des effets spéciaux intelligents, employés sans trop d'abus, sans jamais d'explosions ou autres virevoltes dantesques capillotractées qui seraient seulement pour montrer que ça flisque grave sous le kimono.
Le film en lui-même est au contraire caractérisé d'équilibre, entre technique et cadre narratif.
Le scénario n'est pas avare des passes d'armes que le spectateur est venu cherché. Les lames sont affutées, certains combats sans plutôt bien chorégraphiés et quelques ralentis opportuns arrivent à surprendre. On trouve ici et là des ennemis vraiment méchants, perfides, et d'autres assez impressionnants, occasions de combats originaux où la caméra sait prendre le recul nécessaire pour nous épargner la montée de gerbe.
Le récit associe la sorcellerie, l'intègre même plutôt correctement, et on peut retrouver quelques inspirations à - Tigre et Dragon - dans la manière de mouvoir les personnages.
La photographie est intéressante. La caméra se pose sur de beaux paysages, sommets de collines embrumées ou étendues d'eau scintillante, apprivoise aussi les lumières du soleil levant que l'on aura plaisir à contempler, même si ça respire bon le synthétique. Ce film recèle une part d'enchantement, est fait de partitions poétiques dans lesquelles transparaissent la rigueur de l'esprit japonais et la discipline martiale du Samouraï...c'est beau, presque doux...
Mais il y a quand même un vieux goût périmé de "David contre Goliath", de relent de fond de poubelle pas nettoyée avec départs à quelques endroits de champignons menaçants.
La trame de production hollywoodienne est répétée, et le spectateur doit encaisser quelques scènes WTF, prévisibles et conformistes. Dans ce film, c'est le gentil qui gagne, à défaut ce sera la morale, c'est comme ça et pas autrement. Il arriverait presque à nous faire vivre le rêve du parfait Samouraï, mais Keanu Reeves a du mal à fendre l'écran, la faute à son script, la faute à son interprétation qui remploie la matrice d'un rôle qu'il connaît à la perfection...et tout d'un coup on se dit que l'odeur bizarre du début, c'était peut-être bien la sienne.
Il endosse le costume de "sang mélé", petit batard détesté qui doit toujours s'incliner devant le respectable Samouraï, pourtant le héros n'a pas posé le genou à terre que l'on voit déjà poindre sa romance avec la fille du chef. L'amour, comme adoubement et ultime reconnaissance que tous devront lui témoigner à la fin. La caméra évite soigneusement son torse, les angles saillants depuis - Matrix - se sont arrondis...le bon Keanu à l'évidence flirte avec les plaisirs de bouche et ne se goinfre pas que de sushis.
C'est drôle d'autant que c'est dissimulé. Le film est pudique avec son acteur principal comme avec sa violence. Ca manque de pertinence et c'est bien dommage.
A vouloir la mettre en scène, le film aurait nettement gagné à plus de froideur, plus de nervosité, quitte à passer un coup de bigot à Tarantino pour lui demander son avis.