Le rebelle apprivoisé
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le 8 mai 2023
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Cela faisait un petit moment que je n’avais pas vu de films de Kazuyoshi Kumakiri. Avant-hier je pars en quête d’un film pour réparer ce relatif oubli : je tombe sur une affiche intrigante montrant une jeune femme avec une écharpe bleue et les pieds flirtant avec l’écume de vagues. Sans trop chercher à en apprendre sur l’histoire, je lance le film. Là, je découvre la jeune femme en question, sorte de hikikomori terrée chez elle, avec pour seules distractions pour rythmer son quotidien un boulot de SAV informatique en distanciel et de médiocres émissions sur la TV japonaise. Le visage de l’actrice ne m’est pas inconnu, dans quels films l’avais-je déjà vu ? En fait, il m’a fallu une bonne demi-heure avant de comprendre que cette femme sans grâce, au visage dur, incapable de communiquer, était jouée par Rinko Kikuchi (aujourd’hui âgée de 43 ans, le temps passe). Double retrouvailles puisqu’elle aussi, je ne l’avais pas revue dans un film depuis longtemps. Plutôt une bonne actrice, mais là, un pas a été franchi pour se rapprocher de l’excellence…
Le film commence vraiment à la fin du premier quart d’heure, après que le cousin de Yoko a toqué à sa porte pour lui apprendre de visu (Yoko ayant cassé son portable la veille) que son père est mort et qu’il l’emmène à Aomori pour assister aux funérailles. Dans la voiture, où se trouve l’épouse du cousin ainsi que ses deux enfants, Yoko, passablement handicapée de la communication, ne décoince pas un mot. C’est dans une aire de repos que tout bascule : alors qu’elle est partie dans les environs pour se promener (tout en ruminant contre son père, se disant que ce long voyage est inutile), l’un des fils du cousin se blesse en tombant d’une table. La petite famille se rend aussitôt au premier hôpital venu, laissant Yoko sur l’aire de repos (sans même la prévenir). Celle-ci les attend patiemment puis, commençant à paniquer, demande (c’est beaucoup dire) à une bonne âme de l’emmener pour Aomori. Evidemment, juste au moment où elle quitte l’aire, la voiture de cousin revient, mais c’est trop tard.
C’est alors le début d’un road movie d’une nature particulière, qui louche du côté de la robinsonnade. Pourtant, Yoko n’est pas à proprement parler sur une île déserte. Mais le résultat est le même : il s’agit d’avancer, en essayant de survivre (pas de portable, juste 2600 yens en poche pour faire plus de six-cents kilomètres) et en croisant les doigts pour tomber sur un ou plusieurs Vendredis qui lui permettront de monter à bord d’un véhicule et de s’approcher d’Aomori. Il faut faire vite car les obsèques se rapprochent dangereusement et, au fur et à mesure que Yoko avance dans son périple, on saisit ce que peut avoir de décisif ce moment pour tourner une page délicate de sa vie et avancer.
Si l’on est un peu circonspect durant le premier quart d’heure, on est totalement happé dès que cette femme incapable d’aligner plus de trois mots commence son odyssée dans un Japon où la bienveillance devra être trouvée au milieu d’un égoïsme pouvant émaner de n’importe qui, les jeunes comme les vieux. Et alors qu’elle progressera vers le nord, dans une ambiance de plus en plus froide (on commence par les chaudes couleurs automnales avant que peu à peu la grisaille et la neige n’arrivent), on comprend qu’il s’agit pour elle de se réchauffer, de dégivrer son cœur, sa langue, de réapprendre à communiquer (touchante scène avec un couple de personnes âgées) et de se préparer à faire son deuil de son père, avec des sentiments douloureux qui lui sont associés. Le tout bercé par une musique atmosphérique et mélancolique de Jim O’Rourke (ô joie !) et d’Eiko Ishibashi (ô plénitude !). 1h57 de road movie assez lent (n’attendez pas de nouvelles rencontres toutes les cinq minutes, les personnages que rencontrent Yoko se comptent sur les doigts de la main) mais parfaitement ciselé dans son écriture, alternant passages où Yoko attend qu’une bonne âme s’arrête et accepte de la laisser monter dans son véhicule (et vu son absence de débrouillardise, ce n’est pas gagné) et discussions (souvent à sens unique) avec les nouvelles rencontres. Un très joli film qui, après des œuvres comme Non-ko et My Man, confirment que Kumakiri est parfaitement à l’aise quand il s’agit de faire le portrait d’une femme en décalage avec la société. Quant à Rinko Kikuchi, elle fait regretter de ne pas l’avoir davantage vue dans des dramas ou des films grand public plutôt que dans des films de ce type.
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Créée
le 28 déc. 2024
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