7h58 ce samedi-là par Le Blog Du Cinéma
La filmographie de Sidney Lumet est longue et impressionnante : Douze hommes en colère, Serpico, The Offence, Un après-midi de chien, Network, Le Verdict… Si elle s’était arrêtée dans les années 1980, la carrière du réalisateur aurait été citée en exemple par nombre de jeunes apprentis cinéastes. Oui, mais voilà : ces dernières années, Lumet a quelque peu entaché sa réputation de géant hollywoodien. Entre un catastrophique remake du Gloria de John Cassavetes avec Sharon Stone et un nanar pour Vin Diesel (Jugez-moi coupable), difficile de ne pas éprouver un soupçon de tristesse pour une vieille légende désormais condamnée à ne plus être que l’ombre d’elle-même. D’où le délicieux sentiment de surprise éprouvé face à 7h58 Ce Samedi-Là, sombre polar venu de nulle part qui commence comme une sympathique série B de plus et resserre tranquillement son étau pour atteindre, dans sa conclusion, une intensité dramatique qui n’est pas sans rappeler certains Scorsese ou Coppola.
7h58 Ce Samedi-Là, tout a très mal commencé pour deux braqueurs à la petite semaine qui, en voulant faire un petit casse dans une bijouterie familiale de la banlieue de New-York, terminent dans un bain de sang. L’un des braqueurs est mort, la vendeuse finira par succomber à ses blessures. Rien qu’un triste fait-divers de plus ? Pas vraiment : le voyou qui a réussi à s’échapper n’est autre que le fils de la bijoutière, et le commanditaire de l’opération, l’aîné de la famille. Bien entendu, rien de tout cela ne devait arriver. Et les conséquences de leurs bavures auront des répercussions sur toute leur famille, et même au-delà.
Les premières minutes sont trompeuses : l’on y découvre des personnages aux contours familiers, petits losers pathétiques lancés dans un coup que l’on devine foireux, sur le point de suivre les schémas narratifs éculés d’une série B sympathique mais totalement dépourvue d’originalité. Construit en de multiples flash-backs qui épousent les points de vue des divers personnages, le film évoque dans son premier tiers une version light d’Un après-midi de chien, revue et corrigée par un de ces disciples de Tarantino ayant pullulé sur les écrans à la fin des années 1990 — la présence au générique de comédiens comme Ethan Hawke et Marisa Tomei y est pour beaucoup.
Lumet, pourtant, vaut mieux que la méfiance légitime que l’on peut éprouver à son encontre : mine de rien, le cinéaste un brin roublard distille une ambiance crépusculaire en esquissant des personnages bouleversants de solitude, dont la médiocrité n’est à aucun moment caricaturale grâce à un souci constant de vérité. Le personnage incarné par Ethan Hawke surnage dans ses problèmes d’argent tout en tâchant de ne pas passer pour un raté auprès de sa fille. Andy (Philip Seymour Hoffman, magistral) voudrait rendre sa femme (Marisa Tomei) heureuse mais oublie son mal-être dans la drogue. Leur père (Albert Finney), rongé par le chagrin, passe de la tranquillité résignée du troisième âge à une haine viscérale, presque terrifiante, attisée par la soif de vengeance. Aucun d’entre eux ne sortira indemne de la spirale infernale dans laquelle les deux frères ont entraîné tout leur clan.
Sur la forme, Lumet reste virtuose mais discret : tout au plus quelques plans séquences judicieusement disséminés rappellent que l’on n’a pas affaire à un bleu. La réussite de 7h58 Ce Samedi-Là (dont le titre original, Before The Devil Knows You’re Dead, a quand même un peu plus d’allure) tient surtout à la splendide mélancolie qui contamine tout le film, jusqu’aux décors, petits appartements plongés dans la pénombre ou lofts aussi luxueux que glacials. Il y a un peu de la série Les Soprano dans ce polar dépressif, et de loin en loin un peu de la splendeur de certains Coppola et Scorsese : comme un cercle infernal qui se referme sur ses personnages maudits, le clan familial est l’endroit où l’on naît autant que celui où l’on meurt. Les liens du sang, voire les liens conjugaux ne sont ici que source d’ennui, souvent à regret : Andy aime sa femme mais ne sait pas comment communiquer avec elle, et quand elle lui apprend qu’elle le trompe avec son propre frère, l’ironie de la chose semble tellement évidente pour Andy qu’il ne s’en formalise même pas.
Il y a surtout cette très belle scène, le jour de l’enterrement de la mère, où le père exprime ses regrets face à son fils aîné à qui il n’a jamais su prouver son affection. Elle est à mettre en parallèle avec la scène finale où amour, haine, incompréhension et regrets se rejoignent dans un seul geste, aussi horrible que poignant. Qui aurait cru que Sidney Lumet parviendrait encore à nous surprendre ? Après la vigueur retrouvée par Woody Allen avec Match Point, 7h58 Ce Samedi-Là confirme que le crime, fût-il cinématographique, peut se révéler source de jouvence.
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Auteur : Wesley
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