Un faux giallo réussi
Sous ses faux airs de Giallo, cette série B est en réalité un thriller psychologique plutôt agréable, avec des scènes érotiques saphiques assez mémorables pour l'amateur de cinéma...
le 19 juin 2022
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(1972. FR. : A la recherche du plaisir. ITA. : Alla ricerca del piacere OU Amuck
Vu en VOST, DVD éditions Le chat qui fume, existe aussi en Blu-Ray)
Greta Franklin (Barbara Bouchet) arrive sur une île près de Venise pour devenir la secrétaire du romancier Richard Stuart (Farley Granger). Alors que Greta n’est ici que pour enquêter sur la disparition de son « amie » (voire un peu plus…) Sally (Patrizia Viotti), elle tombe dans un piège pervers, la femme de Stuart (Rosalba Neri) la droguant pour assouvir ses désirs… Poussée par la curiosité, elle reste tout de même dans cette maison perdue dans la lagune vénitienne dans l’espoir de savoir ce qui est arrivé à Sally.
Il y a encore quelques années, j’avoue que le giallo ne m’attirait pas plus que cela de par son côté enquête à l’ancienne, ses intrigues artificiellement alambiquées ou encore son érotisme souvent gratuit. De plus, l’offre fut longtemps confidentielle, mais depuis quelques années les éditeurs s’y aventurent avec bonheur et tant mieux ! Ainsi à force de m’enfoncer dans les méandres de ce genre protéiforme, j’y trouve tout à fait mon compte tant le giallo regorge de films de qualité, aux multiples facettes, tirant vers le polar, le fantastique, l’horreur, le thriller psychologique…
Jamais sorti en France, à l’instar de l’excellent Le parfum de la dame en noir par exemple, avant l’édition DVD-Blu Ray du Chat qui fume en 2017, A la recherche du plaisir fait partie de ces joyaux méconnus dont on se demande pourquoi ils furent si longtemps boudés. Quasiment inconnu, le réalisateur Silvio Amadio signe ici, malgré un budget semble-t-il très limité, un amour de giallo pervers, retors et machiavélique, à mi-chemin entre un Agatha Christie et Les chasses du comte Zaroff ! Si on y ajoute une pincée de sadisme, une peinture d’une bourgeoisie vénitienne oisive et perverse (on songera au Professeur ainsi qu'à l’oublié E tante paura qui mine de rien, cultive pas mal de ressemblances avec le film d’Amadio), une ambiance ambiguë et poisseuse comme les marais vénitiens, on peut dire que le venin distillé par ce film est de première qualité.
Parmi les ingrédients qui permettent à Amadio de faire monter la sauce (désolé pour l’image), difficile de passer outre le côté érotique du film qui du titre au scénario, en passant par les actrices, est omniprésent sans être toutefois racoleur et gratuit. Et c’est bien là que se situe la performance d’Amadio à qui l’on doit aussi le scénario, sans oublier l’admirable photo d’Aldo Giordani, le montage d’Antonio Siciliano et la musique de Teo Usuelli. Tout ce petit monde semble s’être plié en quatre pour laisser transpirer cette recherche du plaisir à travers les corps incandescents d’un trio d’actrices si désirables.
Les fameuses scènes lesbiennes entre Neri et Bouchet sont des petites merveilles, comme des rêves filmés au ralenti, subtilement accompagnées par la mélodie de Usuelli. D’ailleurs un thème de la B.O., Piacere sequence, sera repris bien plus tard dans The big lebowski des frères Cohen. Ce morceau est utilisé durant la scène la plus marquante du film où l’horreur concurrence la beauté, le malaise et ce plaisir pervers et manipulateur, clé de voûte du long-métrage. Une séquence parfaitement construite où le thème musical sert autant de déclencheur que de catalyseur.
Autre élément important du récit, Venise et plus particulièrement sa lagune arborent une beauté étrange, comme cette petite île où siège la demeure des Stuart. Comment oublier aussi cette partie de chasse aux volatiles sur bateau, qui nous fera songer à La traque, ou le désarroi et la peur de Barbara courant dans les marais, s’enfonçant dans les sables mouvants et dans un piège qu’on identifiera jamais totalement avant un final des plus ironiques. On retiendra aussi une belle séquence en gondole éclairée à la lumière de minuit.
Pour revenir à la cité des Doges, signalons qu’à l’instar de Naples avec le poliziottesco Venise fut un lieu de tournage privilégié pour les gialli. Aldo Lado, qui y a vécu, y situe l’action de son Qui l’a vue mourir ? et de La victime désignée, qu’il scénarisa. D’autres (encore) moins connus y ont été tournés comme Giallo a Venezia, Venezia nera, Terreur sur la lagune ou encore La maison aux fenêtres qui rient, qui sans se dérouler à Venise exploite le côté lacustre de la lagune de la région de Ferrare non loin de la cité vénitienne.
Amadio parvient également à tirer la quintessence de son casting très resserré, et si, comme souvent dans les gialli, le flic de service nous paraitra amorphe et un peu faiblard, les autres sont inoubliables. Ancien protégé de Alfred Hitchcock, Farley Granger (L’inconnu du nord-express, La lame infernale) et sa classe naturelle est parfait en écrivain raffiné, aussi séduisant que repoussant, qui semble diablement s’amuser à mettre lui-même en scène une histoire où on aura bien du mal à percevoir sa véritable implication. Umberto Raho, en majordome silencieux et sévère, a la gueule de l’emploi et d’ailleurs sa filmographie comporte de nombreux gialli dont l’iconique L’oiseau au plumage de cristal où il y tenait un rôle important. Quant au colosse Peter Martinovitch, il est parfaitement utilisé et chacune de ses apparitions, dont une découpe d’anguille pas très appétissante, apporte une touche supplémentaire de malaise.
Enfin, le trio d’actrices est à tomber à la renverse. Si on ne fera qu’apercevoir la délicieuse Patrizia Viotti, Barbara Bouchet crève l’écran et son talent, autant que ses délicieux atouts charnels, nous feront chavirer. Mais c’est bien Rosalba Neri, figure incontournable du Bis (péplum, western, sexy-comédie ainsi que deux Angélique), qui retiendra ici notre attention. Si sa plastique est irréprochable, sa partition de femme cruelle, sexy, empoisonneuse est à classer parmi les plus « beaux » rôles féminins du genre.
Pour les amateurs de giallo à la recherche du plaisir de découvrir une œuvre rare et assez unique dans son genre, ce film est un indispensable, et même les plus puritains se laisseront ensorceler par le rose amer et l’érotisme opportun qui y est déployé !
Le thème Piacere sequence : https://www.youtube.com/watch?v=DbgfIxiBKfE
Une partie de la B.O. : https://www.youtube.com/watch?v=-yXAP6g_jE4
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Créée
le 30 août 2021
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