Transition symbolique

Frais et doux au regard, About Ray narre le combat de Ray, 16 ans, né dans un corps de fille, pour entreprendre sa transition. Ray évolue dans un cercle familial où l'ouverture d'esprit et le women-power sont les maîtres mots, entre une mère célibataire et une grand-mère homosexuelle. Le titre Three Generations fait écho aux relations complices et aux difficultés communicationnelles que traversent mères et filles au sein de cette famille dysfonctionnelle. En face, on trouve le père de Ray, le plus réfractaire quant à sa transition, celui qui a refait sa vie et fondé une famille traditionnelle, modèle, en comparaison de laquelle nos trois générations de femmes perçues comme marginales font figure de groupement anarchique, décalé et joyeusement imparfait.

About Ray aborde avec un regard dédramatisé la question de l'identité. Dolly, la grand-mère, et sa compagne sont des lesbiennes décomplexées ouvertement impliquées dans des causes féministes. La mère de Ray, quoique femme de caractère, peine à l'inverse à aller de l'avant, entravée par un passé qu'elle n'arrive pas à accepter. Ray, quand à lui, se retrouve confronté à un mur, incapable d'embrasser sa propre identité car prisonnier d'un corps qui ne reflète pas son être. Bien qu'ils se trouvent à des stades d'affirmation et d'acceptation plus ou moins avancés, les trois protagonistes ont beaucoup à tirer les uns des autres : Ray du soutien de sa mère, cette dernière de la bienveillance de la sienne, et Dolly des épreuves de sa petite fille. Plus en retrait, la pétillante Dolly apparaît peut-être comme le personnage le plus subtil du film, tranchant avec les clichés dont elle peut sembler dans un premier temps emprunte. En effet, alors même que son orientation sexuelle apparaît socialement comme un gage d'ouverture d'esprit, elle est la plus encline à la critique – aussi bien dans le sens positif que négatif – et peine à comprendre la transition de Ray, commettant l'amalgame entre homosexualité et transsexualité que beaucoup commettent dans les faits en se targuant d'accepter voire de comprendre autrui.

Le trio déborde d'énergie, d'humour et d'une maladresse touchante. Susan Sarandon multiplie les pics jubilatoires. Linda Frances, bien que plus effacée, prend à cœur son rôle de belle-mère et lui donne efficacement la réplique. Naomi Watts tient probablement le rôle le moins évident, dans la peau d'une mère qui prend sur elle et refoule ses émotions, qu'il s'agisse de ses erreurs passées ou de la transition de Ray vécue à certains égards comme la perte la petite fille qu'elle a vue grandir. Tate Donovan et Sam Tammell sont nettement moins convaincants dans leurs rôles de pères. Le scénario n'y est à vrai dire pas pour rien, puisque même si leur position demeure problématique, ils acceptent plus aisément qu'on ne pourrait l'imaginer la situation qui s'impose à eux. Ray, finalement, que le titre définit comme personnage central, est servie par une Elle Fanning aussi touchante que revêche qui certes parfois agace mais qui souvent rappelle l'adolescent enfoui en nous et pour qui au fil du film on se prend de sympathie.

Une jolie photographie soutient une réalisation globalement lisse, un choix modeste qui peut trouver sa justification le caractère déjà haut en couleur du trio de protagonistes, auquel il évite de basculer dans les caricatures avec lesquelles les personnages ont tendance à flirter. Les prises de vues attribuées au smartphone de Ray, certes faussement originales, apportent une touche de poésie et ajoutent à la sensibilité du personnage dont les pensées, en définitif, ne transparaissent que dans le pseudo-reportage qu'il mène sur sa transition.

La transition, pour en venir au cœur du film, n'est malheureusement pas aussi vivement abordée que le laissait pressentir la bande-annonce. Et pour cause, Ray vit dans une famille qui accepte beaucoup plus aisément son changement de sexe que ce n'est le cas généralement. Les particularités de sa mère et de sa grand-mère, si elles présentent un intérêt dans la relation intergénérationnelle et la question de l'identité, constituent également la limite du film. About Ray parle bien davantage des difficultés à s'accepter et à se faire accepter, en règle générale, que de la transition en elle-même. À bien des égards, ce thème central ne semble être qu'un prétexte extrême voué à exemplifier le passage personnellement éprouvant que représente l'adolescence. On se reconnaît bien davantage en Ray en tant qu'adolescent intérieurement malmené qu'en tant que transgenre. Un avantage, au sens où le personnage suscite largement l'empathie. Un manque également, puisque le film ne parvient pas à aborder avec une véritable justesse la transsexualité en elle-même.

About Ray (Three Generations) est une bouffée d'air frais pleine de bons sentiments. Mais son intrigue centrée sur des relations familiales, entre complicité et tensions, n'a pas gagné à être vendue comme un film sur la transsexualité, laquelle apparaît davantage comme un prétexte quasi symbolique que comme l'objet final du scénario. Les différends familiaux sont effectivement plus prégnants et percutants que la transition de Ray en elle-même, à peine entamée au cours du film. À titre d'exemple, Laurence Anyways traite avec beaucoup plus d'honnêteté des difficultés de la transition. On regrette quelque peu de ne pas suivre celle de Ray d'un point de vue plus social et effectif. L'angle choisi trouve ses justifications ailleurs, mais ceux qui auraient aimé se reconnaître en Ray en partageant son combat trouveront en lui bien moins de réponses à leurs doutes qu'ils ne pourraient l'espérer.