Je suis une enfant des années 90. La trilogie Jurassic Park fait partie de mon enfance et, même si j'éprouve un plaisir tout particulier devant le premier, j'aime presque autant les deux suivants, indépendamment de toute objectivité. Si je suis incapable d'expliquer exactement ce qui me plaît tant dans la saga d'origine, j'estime qu'il serait malvenu d'y comparer l'actuel Jurassic World.


J'ai témoigné beaucoup de bienveillance envers Jurassic World premier du nom. D'une part, parce que, par nostalgie, j'étais ravie de re-découvrir le parc. D'autre part, parce que le film proposait un discours certes peu original mais assez juste sur l'industrie hollywoodienne de ces dernières années dans son obsession du gigantisme. Jurassic World n'avait pas réellement besoin d'un successeur, aussi la sortie de Fallen Kingdom a-t-elle été une relative surprise.


Une surprise. C'est en effet ce que le film semble vouloir être, en laissant de côté la formule Jurassic « Park » qui était de mise jusque là. Adieu le parc. Adieu l'île. Ce sont les dinosaures qui débarquent dans notre monde, comme on avait pu le rêver ou le redouter dans Jurassic Park 2.
La bonne surprise c'est que, contre toute attente, Juan Antonio Bayona parvient à s'approprier avec audace l'univers de la saga. Certes, il s'éloigne de l'original, mais il serait de toute façon impossible d'égaler ce dernier. Bayona prend des risques en choisissant de délaisser l'habituel survival en terre jurassique pour nous proposer un film de monstre proche de l'épouvante gothique, dans un manoir grouillant de dinosaures. L'ambiance inattendue et la photographie maîtrisée valent la peine d'être saluée.


Là où ce second volet de Jurassic World se fait plus problématique, c'est dans sa construction générale. En effet, malgré les qualités de la réalisation et la volonté prometteuse de renouvellement, le film n'en demeure pas moins un hybride qui peine à trouver sa légitimité – un peu comme son grand-méchant-dino-de-synthèse-méga-hybridé. Au-delà de l'esthétique gothique de la deuxième moitié, Jurassic World : Fallen Kingdom s'égare à de nombreuses reprises sur des terrains glissants, et ne manque pas de trébucher...


Aborder la protection des espèces menacées, c'est une intention louable. Mais l'idée convient mal au matériau en question et les arguments des défenseurs basculent dans l'absurde.
« Si on ne fait rien, vos enfants ne verront jamais de vrais dinosaures ! ». C'est ce qu'on dirait aujourd'hui à propos du grand panda, à la différence près que ce dernier ne menace pas la vie de la population humaine mondiale, n'appartient pas à un règne animal totalement différent du nôtre et n'a pas été créé de toute pièce par la science humaine. Si nous reconnaissons le devoir de défendre les espèces animales menacées, c'est parce qu'elles ont été placées sur la même terre que nous et qu'une harmonie est possible. Également, et peut-être surtout, parce que le genre humain est le prédateur de toutes les autres espèces qu'il côtoie. Tel n'est pas le cas avec les dinosaures.
Le bon argument, celui que le film ne met pas suffisamment en avant et ne mentionne que de manière évasive, il est ailleurs. Il s'agit de la responsabilité de l'humain envers sa création. Comme Dieu l'est envers lui, l'homme doit se montrer miséricordieux vis à vis des êtres auquel il a donné vie en jouant au Tout-Puissant. Si les dinosaures doivent être sauvés, ce n'est pas pour que les générations puissent grandir auprès d'eux – cela, en vérité, il vaudrait mieux ne pas le leur souhaiter... – mais parce que l'humain porte désormais la responsabilité de leur existence et, parce qu'il a décidé de donner la vie, il se doit de la préserver. D'où le rapprochement justifié des dinosaures avec le clone humain créé génériquement, qui pour autant a tout autant le droit de vivre que n'importe quel individu. Rapprochement justifié, oui, et cependant maladroit. L'annonce du clonage en question accomplit l'exploit – malheureusement trop répandu de nous jours – d'être à la fois gros comme une maison et de tomber pourtant comme un cheveux sur la soupe... Sans parler du retournement absolument irrationnel à laquelle la présence de ce clone aboutit ! Reconnaître le droit d'existence d'une espèce dont on a forcé la création, c'est une chose. Décider de cohabiter avec des créatures géantes du jurassique, ça en est une autre...


Les incohérences, Jurassic World : Fallen Kingdom en regorge. Certaines sont finalement digérées. D'autres restent en travers de la gorge. Les personnages multiplient les décisions étranges. La palme revient sans doute à Owen qui, face au raptor-hybride au flair surdéveloppé, décide de couper les lumières du manoir... N'est-ce pas se mettre soi-même des bâtons dans les roues ? …


Autre ressort difficile à avaler : la relation de Blue à Owen. Owen a apprivoisé des raptors. Soit. Il sait se faire respecter d'eux. Passons. Il a une relation fusionnelle avec Blue. D'accord. Acceptons le fait peu probable mais pas totalement impossible que Blue soit une sorte de dinosaure de compagnie. Votre chien vous aime, vous réclame des caresses, vous mange dans la main, vous respecte et vous obéit. Dans l'idéal. Alors avec un dinosaure, et un prédateur qui plus est, n'en parlons pas. Il faut dire que les reptiles ne sont pas spécialement réputés pour leur compassion légendaire ! Passons. Mettons que Blue est le gentil toutou d'Owen, bien élevée et obéissante.
Est-ce que votre chien, si bien dressé et aimant soit-il, courrait à votre secours de son plein gré pour affronter un prédateur deux fois plus gros que lui ? Peu probable.
Que Blue soit un dinosaure amical, c'est acceptable. Qu'elle fasse preuve de compassion, de bienveillance et carrément d'altruisme, en revanche, ça dépasse l'entendement.


Il serait inutile d'épiloguer sur l'idée saugrenue, déjà présente dans Jurassic World (premier du nom) d'utiliser des dinosaures comme armes. « Des animaux au combat, il y en a toujours eu. Des chevaux, des éléphants, des rats,... ». Des mammifères, en somme. Tous relativement pacifiques. Rien à voir avec un raptor-mutant. Des animaux au combat, il y en a eu, à l'époque où on se tapait dessus avec des épée et des lances. On a rarement vu des commando à cheval opérer au milieu des bombes et des tanks, mitrailleuses à bout de bras... Les animaux fuiraient, paniqués. Les dinosaures aussi. Quant à transmettre un virus par le biais de diplodocus... Faut-il vraiment y réfléchir plus longtemps ?


Après le visionnage de Jurassic World : Fallen Kingdom, une drôle d'impression reste en bouche. Difficile de savoir quoi en penser, de trancher si oui ou non on a aimé. Parce que le film est difficile à catégorieré. Il est – comme écrit plus haut – un hybride à l'image du redoutable dinosaure qui y est créé : relativement efficace, parfois effrayant, plutôt audacieux, stylisé, « customisé », et pourtant peu authentique, trop irréfléchi, trop peu convaincant.


Si j'ai apprécié que Jurassic World (2015) soit, à l'image de l'indominus rex, rongé par le gigantisme, c'est parce qu'il en constituait en même temps une critique mesurée. La créature spectaculaire (car contre-nature) au centre du film était finalement défaite par un adversaire inattendu 100% pur ADN.
Fallen Kingdom est à l'image de l'indoraptor, un prototype en mal de finitions. Et là, en revanche, la critique ne saute pas aux yeux.

Rodreamon
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le 9 juin 2018

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Cliffhunter ➳

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