L’enfant illégitime d’un prof d’allemand avec une prof d’espagnol

Je dois vous l’avouer, j’ai contracté le syndrome « Sens critique ». Depuis que je me suis inscrit sur le site, j’ai des suées en découvrant tous ces chefs d’œuvre que je n’ai pas vus. Alors, je me soigne, par dose homéopathique.


Aguirre, la colère de dieu fait partie des pilules à avaler. Quand j’en ai parlé à un ami, il a crié au placebo : « Laisse tomber, c’est trop chiant ».
Un laxatif ?


Bon, autant vous le dire de suite, pendant le visionnage, j’ai trouvé le film un peu chiant.
Attendez, attendez, ne partez pas, ne me méprisez pas tout de suite.
Car si la potion a été amère sur le coup, elle ne cesse de faire ses effets depuis.
Car, trêve d’ellipse, depuis que j’ai vu Aguirre, je ne cesse d’y repenser. Comme un coup de canon dans une rivière déchaînée, les ondes arrivent petit à petit dans mon petit cerveau embué d’antibiotique (oui, j’étais vraiment malade quand je l’ai regardé). Malgré l’ennui parfois rencontré, Aguirre, la colère de Dieu est passionnant.


Tout d’abord, le film a commencé sur une méprise. Dans mon esprit, j’ai toujours associé Aguirre avec des images de Valhalla Rising. Ne me demandez pas pourquoi, je n’en sais rien. Donc, je m’attendais à suivre Aguirre, guerrier teuton (à ne pas confondre avec les guerriers à tétons). Et je me retrouve avec un film de conquistadors parlant allemands. Aguirre est l’enfant illégitime d’un prof d’allemand avec une prof d’espagnol.


La surprise du thème est d’autant plus bonne que le début du film est impressionnant. Cette montagne baignée de nuage et sur ses flancs, une colonne de fourmis, composée de conquistadors en armure et d’esclaves en poncho.
Cette longue procession m’interpelle : est-ce un drame ou une comédie ?
Bien entendu, je sais bien qu’Aguirre est un drame. Ce qui rend d’autant plus puissant le ridicule de cette situation : des chaises à porteur, une vierge Marie, des dames en habit… L’ensemble serait vraiment comique si de pauvres esclaves ne perdaient pas leur vie pour maintenir l’étiquette de la couronne d’Espagne. Un faste néfaste.
Sont-ce là les terribles conquistadors ? Des marionnettes à l’armure rouillée, guidés par les fils de leurs croyances exogènes et de leur soif d’or et de pouvoir.


Je n’ai pu m’empêcher de rire quand, plus tard, ces courageux conquérants envoient un pauvre esclave noir à moitié nu pour effrayer les ennemis.


Est-ce la fièvre qui dilate le temps ou Werner Herzog filme longuement le torrent boueux ? A force, j’y vois presque des chevaux au galop…


Lorsque l’expédition est lancée, le film prend un tournant étonnant. Dans cette jungle étouffante et sur cette rivière à l’humeur changeante, Werner Herzog arrive à donner l’impression d’être dans un huis clos, où alliance et mésalliance se nouent au grès des manipulations. Une mise en scène qui met en exergue ce corps étranger qui vient distiller son poison dans la nature, une bulle de civilisation incongrue.


Une situation mise en exergue par le court mais puissant dialogue d’un indien qui révèle avoir été un prince.




Mon peuple a connu tremblements de terre, épidémies, inondations. Mais les Espagnols ont fait pire encore. Ils m'ont donné le nom de Balthasar. Mais mon vrai nom est Runo Rimac. "Celui qui parle". J'étais prince, mon peuple devait baisser les yeux devant moi. Nul ne me regardait dans les yeux. Mon peuple aussi est enchainé et je dois baisser mon regard vers le sol.




Tout le long du film, il ne cessera de garder sa grâce et une certaine noblesse dans son attitude, qui contraste avec les pouilleux conquistadors. Seules les femmes garderont jusqu’au bout leur noblesse.


Petite aparté sur Aguirre et son interprétation par Klaus Kinski. Je ne cacherai pas que j’ai trouvé perturbant la présence de grand blond aux yeux bleus parmi les fiers espagnols. Toutefois, sa prestation est magistrale. La parole est superflue chez lui, tant le jeu corporel de l’acteur est saisissant. Klaus Kinski sait faire de son personnage un mélange de folie et de clairvoyance.


L’autre dominante est bien entendue cette descente aux enfers, à mesure que le radeau descend la rivière. Le hasard de ma vie de spectateur fait que je pense irrémédiablement à Apocalypse Now, que j’ai vu avant Aguirre. Sauf qu’ici, Kurtz a pris le contrôle du bateau. Cette comparaison ne me lâchera pas de tout le film.


Car la folie ne cesse de gagner le radeau : l’empereur auto-proclamé d’El Dorado, les vilénies du frère Gaspar…
De même que pour Apocalypse now, à mesure que la folie descend la rivière et que la rouille entache les plastrons, la forme du film lui-même est prise d’incohérence.
Ce papillon sur le doigt ressemble à une séquence prise à l’arraché pour le making of. La contemplation du bienheureux ?


Et lors de l’attaque finale, que penser de ces dialogues proches de la comédie ?



Les longues flèches deviennent à la mode. (dit un homme en train de
mourir)



Ce n'est pas un bateau... Ce n'est pas un arbre... Ce n'est pas une flèche. Nous voyons des flèches parce que nous les craignons. Cette flèche ne peut pas me blesser. (dit un autre homme en train de mourir)



Forme et fond se rejoignent dans le chaos. Toutefois, ceci est ma principale réserve sur le film, car j’en suis venu à sortir totalement du film. Premièrement avec ces dialogues curieux. Ensuite lorsque la caméra vient tourner autour du radeau où seul Aguirre est encore debout. Car on voit les mouvements du bateau de tournage sur le radeau, la caméra devient physiquement présente. Elle l’est déjà avec des gouttes sur l’écran lors de la première descente en radeau. Si cela peut passer sur cette courte séquence, je trouve dommage de finir ainsi le film.

Caledodub
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Mes films de 2015, Je n'ai rien compris, c'est génial et Fascichiant

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le 16 août 2015

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Caledodub

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