— Finalement, votre posture là, d’homme désintéressé, qui se focalise sur l’amour et la compassion, c’est de l’opportunisme. Votre contrition, vous êtes incapable de la faire discrètement. Vous cherchez toujours le contact, même dans le retirement. Vous pourriez faire énormément de choses, vous avez le talent, mais vous vous la jouez ascétique. Parce que ça vous apporte plus que d’agir finalement, et à moindre frais… Votre vœu de silence crie sur toutes les personnes que vous croisez. Pour qu’on s’intéresse. Vous tentez toujours de retenir les gens qui vous plaisent. Vous usez de techniques. Votre ascèse, elle est pleine d’intéressement finalement.
— Bien sûr. Hé ! Hé ! Je n’ai aucun intérêt à m’infliger une rigueur spirituelle si c’est pour m’isoler complètement. Au contraire, la vraie solitude appelle à l’explosion… Vous êtes comiques vous… Vous savez, la contrition, la vraie, oblige à une solitude définitive, et c’est terriblement vain. J’aurais aucune raison de trouver Dieu pour rester seul ensuite. Si je vivais seul, je crois que je pécherais en permanence, par distraction. Le péché quand on est seul, ça n’a pas vraiment de sens. Le péché quand on est seul, c’est juste du porno sans acteurs, c’est de la branlette en regardant les nuages, du voyeurisme cumulonébuleux, on fait de mal à personne. Dans la solitude, pourquoi se priver… Non, la compassion, la justice, l’amour surtout, bien sûr que ça se fait avec les autres. Parler de partage seul sous ma soutane ? Déjà on s’emmerde, mais en plus c’est un peu gaché. J’ai besoin des autres. Des mécontents surtout, et des malheureux. Des faibles aussi, je résiste pas. Mais les bénéfices que j’en tire, et que je tire de mes choix, de mes artifices mêmes, de mes vœux de silence, de mes indignations, de ma jolie capuche, sont véritablement des compensations. Je choisis ce qui me paraît juste, et je l’étale, le plus justement possible, sobrement je vous assure. Oui, je me retiens. Je suis condamné à la sobriété vous savez. C’est ma croix, je ne l’ai pas choisie. Le doute me possède, en permanence. Mes bénéfices vous paraissent grands, parce qu’ils ne sont pas noyés au sein des bénéfices injustes… c’est ça l’ascèse. C’est comme le Haschich m’voyez, si vous enlevez le pneu y’en a moins. Je sais de quoi je parle, j'en ai caler du shit de merde. Mais tout ce que les gens retiennent c’est que votre nouveau shit est meilleur et au même prix. Les gens ne se rendent pas compte qu’il est plus petit. Les gens se disent que vous êtes un drogué arrogant, avec votre petit bout tout noir, que vous vous vautrez dans la complaisance. En quelque sorte c’est un petit peu vrai. Juste ce qu’il faut, juste pour tenir. Les dealers-producteurs de bon shit sont souvent les plus sympas. On a envie de les préserver. Plus leur shit est bon – et moins y’a d’intermédiaires - et plus le deal est sain, et subversif. Si on a un bon dealer, c’est pas pour se réserver le meilleur shit qu’on se la joue en screud, c’est juste qu’on a envie de lui faciliter la tâche t’as vu.
— Vous n’avez pas vraiment répondu à ma question…
— Y’avait même pas de question. Vous êtes un mauvais dealer… Vous dealez de la bronchite.
— Et c’est qui votre dealer à vous ? Vous ne nous le direz pas, c’est ça ? On ne mérite pas ?
— Allez, pour vous prouver ma bonne volonté… et mon abnégation sa mère… je vais vous le dire… c’est Boriska…
— Je comprends rien. Qui ?
— Un gamin, vous savez celui qui… Non, oubliez, j’ai rien dit. Je n’aime pas du tout le regard de Vipère que vous avez là. Allez bien plutôt vous faire (fin de l’extrait)
André Roubiev répondant à Éric Zemmour Histrion, 16 octobre 2010, sur le plateau de « On n’est pas couché », dans le cadre de la promotion de son nouvel album de hip-hop orthodoxe intitulé « Hype on Jesus ».
EDIT: ajout de citations du Temps scellé, en vrac.
« Quand tout n'est pas dit, on peut réfléchir et deviner encore par soi-même. Les conclusions ne doivent pas être livrées toutes faites au spectateur, sans qu'il ait un effort à fournir. D'ailleurs, il n'y tient pas. Et comment pourraient-elles le toucher, s'il ne partage pas avec l'auteur la joie et la souffrance de la naissance de l'image ? Cette approche de la création présente un autre avantage. Le chemin que l'auteur fait ici emprunter au spectateur (en le faisant aller au-delà de ce qui est montré) est le seul qui le mette sur un pied d'égalité avec lui. Ne serait-ce qu'au nom du respect mutuel, une pareille réciprocité mérite d'entrer dans la pratique artistique ». p29
« Le poète est quelque chose qu'il est permis d'être, mais non de devenir » Herman Hesse
« J'avais envie d'évoquer, à travers l'exemple de Roublev, la psychologie de la création, et de sonder l'âme et la conscience sociale de l'artiste qui veut créer d'impérissables valeurs spirituelles » p44