Ancien marine ayant perdu ses jambes, Jake Sully (Sam Worthington) accepte de partir sur la planète Pandora, exploitée par un groupe industriel pour ses richesses souterraines. Là, il découvre le programme scientifique Avatar, qui permet aux humains de prendre possession d’un « avatar », c’est-à-dire du corps d’un Na’vi, peuple indigène de la planète, et de le commander à distance. Lorsque le colonel de la base (Stephen Lang) lui demande de prendre un avatar afin d’aller se fondre parmi les Na’vi et de les espionner, il accepte, voyant l’opportunité de repartir de zéro, avec de vraies jambes. Mais lorsqu’il fait la connaissance d’une ravissante Na’vi (Zoe Saldana), il commence à s’attacher à un peuple que les humains sont prêts à exterminer…
Avatar est loin d’être un film parfait. A n’en pas douter, il est bourré à craquer de défauts. Mais s’il en est un qu’on ne pourra jamais lui reprocher, c’est celui de la générosité.
Il est évident que l’on ne vient pas voir Avatar pour regarder un film philosophique, et pourtant, c’est précisément sur ce plan que le film de James Cameron pèche le plus. S’il est une philosophie dont Avatar est rempli, c’est celle de Rousseau. Perverti ou non par des esprits contemporains qui n’y ont sans doute pas compris grand-chose, le mythe de l’état de nature (et non du « bon sauvage », Rousseau n’ayant jamais employé l’expression) reste envers et contre tout une belle aberration, due comme toujours à l’absence totale de repères religieux d’une société qui se croit athée lorsqu’elle fait de la nature sa nouvelle idole… C’est d’ailleurs l’hilarant paradoxe d’Avatar, qui tombe dans tous les travers du politiquement correct sans recul : écologisme bête, anticolonialisme (certes justifié dans le cas de la colonisation américaine capitaliste), antimilitarisme, voire racisme anti-blanc, etc…
En voulant dénoncer (à raison) le fanatisme capitaliste, James Cameron prend entièrement fait et cause (mais peut-être ne s’en rend-il pas bien compte) pour le fanatisme religieux, attribuant à ce dernier une supériorité franchement douteuse. Dans un de ces acrobatiques exercices de haine de soi auxquels l’homme blanc nous a habitué depuis quelques dizaines d’années, James Cameron nous assène sans aucune honte que le panthéisme habilement fanatisé des Na’vi a sans doute quelque chose de préférable à la cupidité sans bornes et au fanatisme pas du tout déguisé des méchants colonisateurs blancs et très virils (le sexe féminin protégeant visiblement ses détentrices de toute forme de concupiscence). On le rejoindra certes dans la mesure où ledit panthéisme donne aux croyances des Na’vi une forme de transcendance qui, de fait, les rend intellectuellement plus solides et sans doute meilleurs que leurs envahisseurs. Mais quand la nature devient une religion, elle peut devenir tout aussi dangereuse que le profit quand il en devient une, et on nous excusera de ne trouver ni dans une voie, ni dans l’autre, une solution acceptable. On laissera à l’immense Chesterton le soin de conclure le sujet avec ce rappel plus que nécessaire aujourd’hui (à lire dans Orthodoxie) :
« L'essence de tout panthéisme, de tout évolutionnisme et de toute religion cosmique moderne se trouve en réalité dans cette proposition : la Nature est notre mère. Malheureusement, si vous considérez la Nature comme une mère, vous découvrirez qu'elle est une belle-mère. Le principal argument du christianisme était le suivant : la Nature n'est pas notre mère, elle est notre sœur. Nous pouvons être fiers de sa beauté, puisque nous avons le même père, mais elle n'a sur nous aucune autorité. »
Les gentils Na’vi et les méchants capitalistes ne devraient donc pas se faire la guerre, puisqu’ils commettent en réalité tous deux la même erreur.
Admettons, toutefois, que c’est précisément parce qu’ils se font la guerre que l’on pourra voir un bon film en Avatar. Et en effet, ce qui fait, au-delà de sa néfaste idéologie bête et méchante, d’Avatar un chef-d’œuvre de la science-fiction et du space opera, c’est sa générosité à toute épreuve. James Cameron est indéniablement un des plus grands créateurs d’images et un des plus grands narrateurs que le cinéma ait connu, et à n’en pas douter, Avatar constitue une belle apogée à sa riche filmographie.
L’intrigue de Cameron n’est pas bien écrite, mais elle est terriblement efficace. Sorte de Pocahontas sous amphétamine, son film ne cesse de surprendre et d’impressionner le spectateur qui est venu pour en prendre plein les yeux. Et dire qu’on est exaucé relève de la litote… Chaque plan est une merveille issue de l’étonnante conjonction entre un esprit humain imaginatif et les formidables capacités technologiques mises à sa disposition. Si les uns seront évidemment en droit de trouver le résultat d’un kitsch excessif ou guère supérieur à une (excellente, toutefois) cinématique de jeux vidéos, les autres pourront tout de même se régaler en suivant un réalisateur qui trouve là un terrain de jeu à la hauteur de son génie.
Tout est hallucinant, dans Avatar : on a beau savoir que tout ça n’est qu’images de synthèse, on veut toujours découvrir davantage ces paysages titanesques et ces bêtes formidables qui les peuplent. Au son des notes envoûtantes de James Horner, on se laisse porter avec un plaisir qu’il serait déloyal de nier par la photographie de Mauro Fiore, qui nous immisce avec un talent indéniable au sein de ce monde dont chaque pixel devient une particule d’un monde nouveau et colossal, profondément vivant. Il faut dire qu’aux décors, Rick Carter et Robert Stromberg n’ont pas chômé. Le contraste entre les froids laboratoires humains et la jungle luxuriante est saisissant, et nous permet de ressentir une profonde empathie avec Jake Sully (excellent Sam Worthington) lorsqu’il découvre les dangers du monde qu’il entoure, mais aussi ses beautés. On ouvre grand les yeux à chaque nouvelle créature rencontrée, et on se perd avec le héros dans les immensités du ciel de Pandora, dont les merveilleuses montagnes suspendues restent sans nul doute une des plus belles destinations que nous ait offert un écran de cinéma au cours de son existence. A ce titre, la bataille finale mérite sans nul doute d’être citée au panthéon des meilleures scènes de bataille jamais vues dans un film, tant elle témoigne d’une exploitation absolument parfaite du décor et des interactions entre personnages.
On regrette toutefois que James Cameron, comme à son habitude, ne recule trop devant la suggestion et la subtilité, leur préférant la brutalité du frontal, ce qui prive certaines scènes de leur efficacité (la charge à cheval des Na’vi pendant la bataille finale, dénuée de toute progression dramatique). Il fait pourtant partie des très rares réalisateurs qui peuvent se le permettre, car il sait pouvoir reposer sur un génie visuel sans égal qui propulse immédiatement Avatar à la tête de tout ce qui se fait en termes de blockbuster aujourd’hui (il n’est guère dépassé que par Le Seigneur des Anneaux et Pirates des Caraïbes, qui ont l’avantage d’avoir un fond intelligent, eux).
Ainsi donc, Avatar n’est pas le film le plus intelligent du siècle, il en est très loin. Mais pourtant, de par son sens épique de la narration et sa maîtrise absolue du colossal, il constitue un divertissement grandiose en tous points, dont les faiblesses scénaristiques et la difficulté à faire surgir un vrai tragique là où on l’attend ne peuvent entraver le plaisir total que l’on prend face à cette évasion qui restera bel et bien unique dans les annales du cinéma.