Ou l'envol d'un autre réalisateur mexicain
Un an après Alfonso Cuarón et son Gravity, voici un nouveau réalisateur mexicain, Alenjandro González Iñárritu (21 Grammes, Babel), qui a l’honneur d’obtenir l’Oscar du Meilleur réalisateur (en plus d’autres récompenses dont celle du Meilleur film). Le long-métrage qui a fait l’objet d’un tel engouement de la part de l’Académie : Birdman, un titre qui fait pensait à un nouveau super-hero movie façon hollywoodienne, mais qui finalement se révèle être à mille lieux de ce genre de divertissement et même des films en général. Un projet pour le moins atypique qui, disons-le d’entrée, va marquer sans l’ombre d’un doute l’année 2015 pour ne pas dire la décennie !
Quatre ans après Biutiful, le cinéaste nous revient donc avec un long-métrage qui s’inspire de la nouvelle intitulée Parlez-moi d’amour de Raymond Carver, avec laquelle il décide de nous dresser un tableau du showbiz. L’occasion pour lui de révéler ce qui se passe dans les coulisses d’un univers que beaucoup idolâtrent alors que rien n’est vraiment rose dans la vie des comédiens et consorts : problèmes familiaux, mésententes entre collègues, égocentrisme pur et dur, à la recherche DU rôle et donc DU succès, sexe et drogue, les coups durs face aux critiques, le concept des suites et remakes hollywoodiens… tant de thématiques que le cinéma, les séries, la littérature et d’autres supports culturels ont déjà traité x fois. Autant dire que sur ce point, Birdman n’avait pas grand-chose de bien original à nous présenter, si ce n’est l’énième parcours d’un acteur en perdition en passant par les éternelles séquences tire-larmes pour montrer son inévitable rédemption. Mais c’était sans compter sur les scénaristes du film (dont fait partie le réalisateur lui-même) et les interprètes participant à l’aventure.
La réussite scénaristique du film, Birdman la doit notamment à son aspect comique à la limite du fantastique. En effet, Iñárritu, pour son portrait d’un comédien en quête de gloire, décide de ne pas dramatiser totalement son histoire en préférant mettre en avant le manque de tabou entre des personnages hauts en couleurs, promesse de répliques piquantes et de situations rocambolesques : un comédien ayant une érection sur scène, ce dernier se battant en slip avec le héros devant la machine à café, celui-ci se retrouvant en petite tenue en plein Time Square… l’apothéose étant atteinte quand le personnage principal se retrouve hanté par son rôle de super-héros, croyant qu’il possède lui-même des pouvoirs télékinésistes. En clair, c’est Californication, sans la vulgarité et avec beaucoup plus de goût, de maîtrise, de classe et de qualité d’écriture. Et ce sans oublier les moments intimistes qui viennent parfaire ces protagonistes déjantés tout en leur donnant une âme, un véritable intérêt qui permet de s’attacher à eux malgré le côté tête-à-claques de certains. Un immense régal qui ne baisse jamais question rythme, sauf peut-être sur la fin qui traîne un chouïa la patte (le passage à l’hôpital est, par exemple, de trop à mon goût).
Autre gros point fort de Birdman : son casting. Une réunion de superbes comédiens, certains d’entre eux repoussant une fois de plus les limites de leur talent (Edward Furlong), d’autres montrant qu’ils en ont quand ils sont en compagnie d’un réalisateur sachant les diriger convenablement (Naomi Watts), en passant par ceux qui n’ont plus rien à prouver (Emma Stone, Zach Galifianakis). Mais la palme, bien évidemment, revient à Michael Keaton, acteur hors pair trop peu vu qui trouve ici le meilleur rôle de sa carrière avec cette mise en abyme (voulue ? le comédien semble le nier lors des interviews) de sa filmographie : un acteur qui a connu la gloire auprès du grand public avec un rôle de super-héros (Birdman faisant écho à Batman, Keaton ayant joué le Chevalier Noir dans les films de Tim Burton) et qui n’a, par la suite, plus vraiment fait parler de lui. Naturel et conviction sont au rendez-vous, nous permettant d’avoir sur un plateau d’argent un personnage diablement attachant et charismatique. Une véritable tête d’affiche qui, honnêtement, aurait largement mérité l’Oscar du Meilleur acteur 2015 !
Mais la grande force de Birdman provient également de la mise en scène d’Alenjandro González Iñárritu, qui présente son long-métrage tel un unique plan-séquence. Bon, ce n’est pas totalement vrai, étant donné que le film propose certains travellings dans des couloirs et plans du ciel en accéléré servant de transitions aux scènes (elles, véritablement tournées en plan-séquence). Mais l’illusion est bien là et offre à l’ensemble une envergure titanesque : une caméra aux mouvements incroyablement fluides qui suit au plus près les personnages et ce malgré des décors à l’allure étriquée, le tout rehaussé par le magnifique sens de l’image d’Emmanuel Lubezki qui donne à chaque plan un réalisme certain. Cela permet également au spectateur de se rendre compte du défi de l’entreprise, notamment en ce qui concerne la direction des acteurs qui doivent, du coup, agir et répliquer au bon moment tout en se mouvant dans un décor malléable à souhait (la chute du spot, les séquences en pleine rue…). Un choix de mise en scène à la limite du théâtre qui fait donc preuve d’une maîtrise d’orfèvres et d’une interprétation aux petits oignons de la part des acteurs.
Alenjandro González Iñárritu a vu grand pour son Birdman, il en livre tout bonnement un très grand film. Un véritable bijou cinématographique sans doute un peu longuet sur la fin mais qui mérite amplement ses Oscars, se présentant tel un délice d’écriture, de distribution et de mise en scène. Comme quoi, le Mexique a le vent en poupe ces dernières années, avec ces réalisateurs de talent ! Il nous tarde déjà de voir ce qu’Iñárritu nous réserve avec son projet intitulé The Revenant, un western avec Leonardo DiCaprio.