La promotion de Birdman était une double fausse piste. La bande-annonce se concentre avant tout sur les fantasmes blockbusteriens du personnage principal, qui n’occupent finalement qu’une portion congrue du récit, et l’argument de vente, à savoir un film fondé sur un plan séquence quasi continu, guide notre regard sur une performance technique qui s’exhibe tant qu’elle semble avoir des choses à cacher, à savoir un réel fond à défendre.
Birdman se veut une satire du milieu du spectacle, s’articulant autour de répétitions d’une pièce sur Broadway censée remettre en selle un acteur sur le retour, ancienne gloire d’une franchise de super héros. Inarritu, avec le tact éléphantesque qui le caractérise, tire sur tout ce qui bouge : la vanité de la célébrité (name dropping réel, à la clé), aujourd’hui virale (tout y passe, facebook, youtube, twitter), la paternité, la critique, le sexe, l’âge, la drogue, le divorce, les médias, pensant proposer la causticité d’un regard backstage. Le traitement lorgne fortement du côté de la fluidité de Sorkin, mais sans jamais vraiment l’égaler. Le langage est cru, les échanges en uppercut et les mises en abyme sur les correspondances entre ce qui se joue sur la scène et dans les coulisses constantes, c’est-à-dire poussives et surlignées à l’envi.
Le traitement formel, donc, se pose sur un discours éculé et n’évitant aucun des pièges de son sujet. Il serait toutefois malhonnête de ne pas saluer la performance technique de certains plan séquences, notamment le premier, qui dessine un parcours dans les coulisses attestant d’un travail d’écriture de l’espace assez réjouissant. D’un corridor à l’autre, grâce à des jeux de miroirs, les personnages investissent les lieux avec un naturel plutôt louable. S’ajoute à cette idée un travail sur l’ellipse temporelle qui permet, dans un même travelling, d’avancer dans le récit, le public apparaissant hors champ dans le théâtre par exemple alors que la salle était vide dans un premier temps.
On peut trouver une certaine légitimité à cette idée d’un mouvement continu dans un lieu unique : ce microcosme étouffant est alors souligné, par un regard claustrophobe sur cet entregent délétère où l’on ne cesse de louer l’autre pour en obtenir ce qu’on souhaite, jusqu’à l’aliénation.
Mais toute cette machinerie s’épuise assez rapidement, parce qu’elle est tirée de toute part vers une expansion vaine : dans la répétition de son procédé visuel, et dans l’étendue de sa dénonciation, deux heures durant. Ce qui frappe, c’est à quel point Inarritu semble utiliser les cartes qu’il moque : la surenchère des comédiens (Emma Stone, insupportable), le pathétique éculé de leur petits égos, et jusqu’aux recettes du blockbuster ; effets spéciaux, télékinésie, monstres de synthèse et explosions. Procédés qu’il était particulièrement malhonnête de placer en nombre dans la bande annonce, présentant un film qui pourrait marcher sur les traces d’un produit qu’il entend dénoncer. Keaton se donne certes sans compter, mais ce travail sur le fil, entre grotesque et pathétique ne mène à rien d’autre qu’une performance qui fait frétiller les médias, ce qui, encore une fois, constitue précisément l’une des cibles du film.
En résulte un ensemble passablement indigeste, boursoufflé, faisant feu de tout bois et s’empêtrant dans toutes les béquilles qu’il ne cesse d’ajouter à ses excroissances… et l’envie furieuse de revoir Opening Night de Cassavettes.