--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au dix-huitième épisode de la cinquième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :
https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163
Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là :
https://www.senscritique.com/liste/Secret_of_the_Witch/2727219
Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---
Nous entrons ce soir dans la dernière décennie de la nécromancie féminine au cinéma, et avec elles les années 2010 apportent la fin de cette longue ère du règne de la comédie familiale et du conte fantasy. Alors je sais, il y a une faille dans mon raisonnement, car j’ai été contrainte d’écourter mon mois-sorcière d’un titre un peu plus qu’anecdotique, avec Le Projet Blair Witch. N’empêche que, exception peut-être faite du film pré-cité, cela faisait 30 ans qu’on n’essayait plus de faire réellement peur avec des sorcières. Alors qu’est-ce qui se passe ? La cause je ne la connais pas, mais le résultat le voila : finalement ça marche plutôt pas mal.
Alors voila, nous sommes en 2010, et Black Death sort… 1 an AVANT Game Of Thrones. Je trouve que cette information est la chose la plus dingue qu’on puisse dire sur ce film. Car en plus d’un casting en mode spin-of (Sean Bean en chef de groupe sévère mais juste, Carice Van Houten en sorcière envoûtante -mais j’y reviendrai, quelle femme-, Tim Mcinnerny en side-kick pas si rigolo), le film et la série ont en commun leur esthétique superbement sale, leur violence froide, leurs univers médiévaux-fantastiques. Mais alors Sean Bean, mourra ou mourra pas ?
Malgré que l’envie me démange -et qu’il est vrai je ne me gêne pas tant habituellement pour ne pas raconter la fin du film, je ne me permettrai pas de spoiler la réponse à cette existentielle question. Mais il faut tout de même noter que l’ami Sean Bean cherche un peu les situations pas très confortables pour ses personnages. Ce soir donc, il incarne un chef inquisiteur, dont le seul ami est Dieu, bourlinguant sa bande de brutasses dans un monde ravagé par la peste (et où d’évidence, personne ne respecte les gestes-barrière… C’est pas sérieux ces câlinades de tous les cotés les gars, là). Dans ce tableau en nuances de noir (sans mauvais jeux de mots), arrive le sublime Eddie Redmayne (qui atteindra la gloire cinq ans plus tard avec son interprétation magistrale de Stephen Hawking dans Une Merveilleuse Histoire du Temps… Digression à des années lumière du film qui nous intéresse pour le moment), campant un jeune moine amoureux, téméraire mais trouillard, influençable mais buté, bref, ce genre de rôle pour lesquels la frontière entre complexité du personnage et incohérence est terriblement fragile, mais pour lesquels la prise de risque s’avère une grande force d’authenticité et de sensibilité pour le film. Et donc cette phrase beaucoup trop longue était pour introduire la situation initiale du scénario, qui est en fait selon moi la thématique principale du film : un brin de poésie sauvage essayant de pousser au cœur d’un champ de mine. Au casting donc, notre Candide version tonsuré se débat parmi des brutes rustres, des pères austères, et une bande d’hérétiques. Le seul personnage pouvant partager sa fraîcheur se révèle d’ailleurs la cause de ses plus profonds tourments. Au scénario, qu’on adhère ou pas, la thématique est la même : la vertu religieuse essayant de survivre entre une nature révoltée et une espèce humaine plus dangereuse encore. À la technique, une image délavée, aux contrastes brutaux, au grain mal dégrossi et à l’épaule nerveuse, s’oppose à une bande son mélodieuse, de ses bruitages mettant l’accent sur les chants d’oiseaux et bruissements de la nature, à sa musique, harmonieuse et puissante. De tous les bords donc, la douceur et la violence s’écharpent, et aucun combat ne connaîtra une issue similaire.
Ce casting incroyable s’orne donc comme je le citais plus haut d’une Carice Van Houten déjà au sommet de son art. On la connaît désormais tous en sorcière rouge, mais tout ce qui compose le personnage était déjà là un an plus tôt (hormis la colorimétrie : on a plutôt ici une blonde adepte de magie noire). Le twist final (dont je garde toute la frustration de ne pas le révéler ici, mais puisque j’ai promis une critique sans spoil…) donne au personnage une toute autre dimension. Qu’on se soit douté de cette issue ou non ne change rien au profond vertige que l’on ressent alors, tant par empathie pour la victime que par fascination pour le bourreau. Car fascinante, la sorcière de ce soir l’est, sans aucun doute.
Même si bon, on va pas se mentir, malgré toutes les vertus du film, on préférera la sorcière version rousse et le format sériel qui arrive un an plus tard. Ce qui explique d’ailleurs certainement pourquoi Black Death est tombé dans un semi-oubli depuis : petite vaguelette sympathique trop rapidement balayée par un tsunami. Illustration que le grand écran peut parfois se faire écraser par le petit.