Blue ruin est un second film impétueux, l’œuvre d’un cinéaste décidé qui, dans un monde cinématographique reniant presque le film de genre, en délivre un fier représentant, bille en tête, sans s’excuser. Ne cherchez pas ici quelconque thèse traumatique, il n’est question que du dernier soubresaut d’énergie d’un homme qui, après s’être fait voler sa vie par des salopards, n’a trouvé pour raison de vivre que l’ultime espoir d’un jour pouvoir les réduire au silence, à tout jamais. L’ex-fiston de bonne famille se déniche alors un taudis roulant envahi par la rouille et attend son heure, dans l’errance et la haine, ce jour béni ou il pourra enfin goûter le tanin ferreux qui constitue le sang de celui qui lui a tout pris, peu importeront les conséquences de cet acte libérateur.
Autour de ce pitch simplissime, aucun bout de gras (ou presque), un déroulement brut de décoffrage, marqué par l’errance d’une proie devenue carnassière. Un vrai revenge movie, qui ne s’embarrasse pas de jouer la carte verbeuse pour tout expliquer, c’est vraiment appréciable, car c’est devenu une denrée foutrement rare en notre bonne année 2014. Du film de genre qui ne s’excuse pas d’en être, qui dès la première demi-heure montre ce qu’il a dans le ventre, quelle aubaine ! D’autant plus qu'il est porté à bout de bras par un cinéaste qui connaît son affaire, et ne manque pas de prouver toute sa maîtrise visuelle dès lors qu’il s’agit de composer de la belle image. On pourra certes chipoter et reprocher à cette belle photographie de jouer un peu trop les poseuses, mais l’effort est là et le résultat, léché, aussi : splendide.
Mais voilà, quelques ombres viennent tout de même tempérer ce très chouette tableau, à commencer par un lead qui manque un peu d'attitude. Mais le plus gros point noir de Blue Ruin est sans aucun doute sa fin, qui voit Jeremy Saulnier tomber dans les travers qu'il avait pourtant évités jusque là, à savoir une mutation du film poisseux et sans concession en une parlotte trop convenue, qui contraste trop avec l’attitude si frontale qui caractérisait l’ensemble. C’est bien dommage, on sent dans ce dernier acte prolixe une tentative de justification, qui fait l'effet d'une excuse à demi soufflée remettant en question l'acharnement de la première heure; comme si cette envie de réaliser un revenge movie uniquement motivé par la soif vengeresse qui peut alimenter le palpitant d’un homme en colère n’était, en elle-même, pas suffisamment légitime. Alors que tout le reste de son film avait bel et bien prouvé le contraire.
M’enfin, ne boudons pas trop notre plaisir, je ne ferai pas la fine bouche devant cette proposition si assumée, particulièrement bienvenue puisqu’en plus d’être généreuse et sincère, elle laisse présager du meilleur pour l’avenir de son jeune réalisateur. Affaire à suivre.