"Ah, ras le bol ! Encore une émission culinaire à la télévision !" "Mais non, papy, tu regardes le micro-ondes !" C'est un peu le sentiment que les jeunes pourraient avoir aujourd'hui en regardant ce film en noir et blanc de 1963 : ils se demanderaient comment ce navet a bien pu attirer 1,6 million de spectateurs en salles à sa sortie ! Un film "poudre aux yeux" Pour bien le comprendre, il faut se reporter au contexte de l'époque...
La guerre de 1939/ 45 a fait d'immenses ravages humains et matériels en Europe ! La nature ayant horreur du vide, c'est le brutal réveil de l'instinct de conservation, et la naissance de nombreux bébés appelés "du baby-boom" !
La jeunesse des sixties a envie d'un nouveau monde et veut tout changer, tout bouleverser ce qui a fait le monde de papa : tout ! Vêtements, loisirs, chansons ! Pas seulement...
C'est la grande époque du tsunami "rock and roll, twist, slow" venu d' l'Amérique, et relayé par l'Angleterre via les radios pirates (Radio Caroline, Radio London, Radio City...) car la BBC ne voulait pas émettre cette musique de fous (France Inter non plus d'ailleurs en France)
Le vinyle 33 ou 45 tours microsillon plus capacitif et réputé incassable découvert par Barclay aux USA, lu sur électrophones Teppaz (le plus célèbre car dégondable) envoie le 78 tours et son gramophone à pavillon aux encombrants : place à l'électronique et sa sono à tout crin ! L'accordéon de papa est rangé à la cave des marchands de musique au profit des guitares électriques Fender (entre autres) solo, accompagnement ou basse, batteries... Les orgues électroniques suivront tout comme les saxophones du jazz et du blues... Les violons subsisteront parfois, mais plus pour le tango ou paso-doble.
Quant aux crooners d'avant-guerre, ils sont relégués aux asiles pour personnes âgées de l'époque. Tout ce qui touche au yé-yé se transforme en or : les disques en premier lieu : on crée des stars de la chanson comme des produits de lessive ! Elles constituent pour la plupart de nombreuses étoiles filantes : disparues aussitôt nées ! "Les Chaussettes noires", groupe emmené par Eddy Mitchell devra sa naissance aux chaussettes "Stem" qui, noires bien sûr, chaussèrent la plupart des teen-agers de l'époque ! Seul Eddy (Schmoll) résistera à son groupe tôt disparu.
Tandis que les marques de disques et disquaires faisaient florès et fortune, music-halls,dancings, boites ou cafés-dansants, suivaient le mouvement. Les jeunes s'embrassaient éhontément dans les rues, contrairement à leurs parents qui, jadis, se cachaient...Dans toutes les villes ou villages se constituaient des orchestres rock qui se produisaient dans les kermesses, braderies, fêtes genre 14 juillet... Les vêtements suivirent ce mouvement de renouveau avec les blue-jeans, les jupes des filles qui se raccourcissaient au fil du temps : Sheila eut même sa boutique de vêtements. Exit aussi le chignon de maman : les coiffures féminines eurent aussi leur renouveau avec la frange frontale de France Gall, les couettes de Sheila, le tout pulvérisé de laque.
Les journaux suivirent le mouvement avec en tête de file Daniel Filipacchi qui fit aussi les beaux jours d'Europe n°1 avec "Salut les copains" qui pulvérisa tous les records d'audience radiophoniques, tandis que le journal du même titre pulvérisait des records d'édition...
C'est dans ce contexte où tout ce qui portait le label yé-yé constituait le veau d'or, que ce film a tenté de remplacer les opérettes du temps jadis qui fit (entre autres) les beaux jours d'un Luis Mariano, désormais perdu avec d'autres dans un cul de basse-fosse...
Hélas, ce film accumule n'importe quoi, n'importe qui et n'importe comment. Avec une tentative ratée de tout lier par un scénario consternant que pas un gamin de cours élémentaire ne croirait une seuleseconde ! A la recherche du diamant volé : voilà le résumé !
Boisrond exécute probablement un film sur commande. Annette Wlademant est au scénario (si on a la bienveillance d'appeler comme ça ) Elle est aussi accessoirement la femme du réalisateur, mais n'y voyez là que pure coïncidence ! La tâche étant bien lourde, elle peut s'appuyer sur l'aide de Richard Balducci qui en a vu d'autres.
Au niveau des vedettes qui jouent leur rôle, on notera Sylvie Vartan, Johnny Hallyday, les chaussettes noires.... Pour le reste, que des seconds couteaux où des étoiles filantes rapidement devenues has-been. Et à part Sylvie qui interprète "la plus belle..." on a surtout essayé de lancer de nouvelles chansons mais qui ont fait un flop ! Le casting frise même l'escroquerie avec des noms connus de l'époque comme Mylène Demongeot, Harold Kay, Pierre Belmarre, Claude Piéplu (...) qui ne font que de brèves apparitions... Présence incongrue : celle d'Aznavour (qu'il fallait caser à tout prix ?) qui essaie de s'accrocher au rez de marée de la chanson yé-yé : classé trop vieux pour les jeunes qui n'aiment plus guère les chansons à texte, et trop enroué par leurs parents. Charles composera néanmoins de belles chansons dans le vent, qui donneront ses lettres de noblesse à Johnny et changera des paroles sans intérêt... (Avec une poignée de terre, Retiens la nuit...)
Ce film au final mérite la vision pour la prestation de Dany Saval qui s'essaya aussi à la chansonnette. La belle suivait le cheminement des stars yé-yé : jolie bondinette avec frange à la façon Sylvie et France Gall, séduisante, délurée comme il le fallait et genre sois belle et tais-toi, ce qui lui était impossible... Sa filmographie était importante, hélas pas en qualité, et qui se souvient aujourd'hui de ses chansons ? Déjà épouse en seconde noces de J.M. Jarre, coqueluche de Claude François qui la draguait en vain depuis dix ans, c'est finalement Michel Drücker qui séduisit la belle, aux yeux et à la barbe de Claude François qui lui en voulut un temps... Elle abandonna le spectacle en 1980 et elle se fit longtemps absente des média...
Un des héros du film, Franck Fernandel, eut bien de la peine a être "fils de ", tout comme Franck Alamo, disparu récemment, dont le vrai nom était Grandin (les postes télé dont on voit une pub dans le film, probablement aussi par hasard) et dont le père lui intima de prendre la relève de la direction d'usine paternelle. Senior, il avait renoué avec la scène en chantant et produisant un spectacle avec d'anciennes stars des sixties qui avait marché très fort, y compris lors de croisières maritimes...
Pour en revenir à Franck Fernandel, addictif à l'alcool, il eut une bien triste fin au terme d'une vie sans panache...
En résumé, ce film est intéressant pour témoigner de la frénésie d'une époque "âge tendre et tête de bois" aujourd'hui révolue...