La thématique choisie par la cinéaste suisse Stina Werenfels fait partie de ces tabous cinématographiques, un terrain miné où peu de monde souhaite s’aventurer : l’amour et la sexualité des handicapés. Trop peu et on tombe dans le sentimentalisme ; trop, et c’est le voyeurisme qui guette. Yolande Moreau a réussi à susciter l’émotion avec son Henri, où le handicapé trouve à la fois l’amour et le sexe, de même Ben Lewin avec The Sessions et sa très sexy travailleuse du sexe (Helen Hunt) qui vient en aide d’un homme totalement paralysé; Jean-Pierre Sinapi a quant à lui choisi la voie de la comédie avec son Nationale 7, un récit tordant des échappées sauvages de quelques handicapés d’un foyer qui réussissent à s’encanailler avec des prostituées le long de la route chère à Charles Trénet. Ces films nous obligent à confronter le droit à la pratique sexuelle des personnes à mobilité réduite, voire très réduite.


Dans Dora, ou les névroses sexuelles de nos parents (un sous-titre ambivalent qui déplace à tort le focus sur les personnages des parents), la protagoniste Dora (Victoria Schulz, explosive) est une jeune fille plutôt svelte, mais atteinte d’un handicap mental l’obligeant à suivre un traitement médical lourd, proche de la camisole chimique. Filmé en caméra subjective, son univers se compose d’un flou généralisé entrevu par ses paupières à peine entrouvertes, et son moyen de communication se réduit à des borborygmes incompréhensibles. Sa mère décide alors unilatéralement d’arrêter complètement les médicaments, pour, dit-elle, apprendre à connaître la vraie personnalité de Dora. La scène suivante retrouve Dora célébrant en famille ses dix-huit ans, heureuse, souriante, un peu sans filet comme peuvent l’être les personnes innocentes et inconscientes du qu’en dira-t-on et de son quant-à-soi. Une scène lumineuse et joliment filmée, mettant en avant dans le même mouvement la normalité et la singularité de Dora.


Libérée de ses pilules, elle se met alors à l’œuvre, Dora. Elle se met à la découverte du monde et d’elle-même, de ses sens, de sa sensualité et de sa sexualité, Dora la sexploratrice. C’est ainsi qu’elle se jette littéralement dans les bras de Peter (Lars Eidinger, glaçant dans son rôle de prédateur sexuel), dans une scène dérangeante où la découverte du plaisir sexuel par la jeune femme résulte d’une étreinte consentie et qui pourtant a tout l’air d’un viol abject, compte tenu du handicap de Dora. Pour autant, cette scène ne relève pas du voyeurisme, la cinéaste prenant soin de capter les émotions très complexes de Dora plutôt que l’acte en lui-même. Dora continue de fréquenter Peter, dont elle finit par tomber enceinte. S’ensuivent alors des situations qui posent question. La question de la psychiatrie coercitive versus le respect des droits et de la liberté de la personne quand celle-ci n’a pas un jugement éclairé, le nécessaire équilibre que les parents doivent trouver (ou pas) pour protéger Dora des autres, mais peut-être surtout d’elle-même, de ses désirs intacts et spontanés, désinhibés comme dans cette magnifique scène à l’hôtel qui montre qu’aucun handicap ne peut freiner la jouissance sexuelle (la prestation no limit de Victoria Schulz, repérée lors d’un casting de rue, est tout à fait remarquable). Est abordée également la question de l’avortement, de la grossesse, de la maternité de la personne handicapée. Des sujets appréhendés avec à la fois du pragmatisme et de la délicatesse de la part de Stina Werenfels, avec parfois des métaphores poétiques, comme cette grenade rouge (le fruit, pas l’arme) presque en forme de cœur offerte à Peter, la poésie étant ce qui correspond le mieux à la vision de Dora. L’ambiguïté règne dans Dora, ou les névroses sexuelles de nos parents, à commencer par ce titre à double détente. L’ambiguïté du rôle des parents, à qui revient le choix de psychiatriser ou non leur fille, l’ambigüité en particulier de Kristin, la mère, une femme qui a accouché d’une enfant handicapée qui elle-même est en capacité d’accoucher d’un enfant « normal ». Ambiguïté encore du personnage de Peter, antipathique au plus haut point, mais montrant un maelstrom de sentiments où désir, tendresse, duplicité, trahison, protection se mêlent de manière confuse, dans une relation bornée par le handicap de Dora.


La conclusion du film de Stina Werenfels prend le large en poussant encore le bouchon plus loin par rapport à la pièce de son compatriote, le dramaturge Lukas Bärfuss, comme pour marquer l’évolution sociétale apparue dans le laps de temps qui sépare la création des deux œuvres. Dora, ou les névroses de nos parents reste autrement tout à fait fidèle aux préoccupations soulevées par l’homme de théâtre.
Ayant eu beaucoup de mal à trouver le financement nécessaire, le film ne sort que deux ans après son année de production. C’est pourtant un film important par rapport aux problématiques évoquées, et intéressant par rapport à la mise en scène de Stina Werenfels, tout en subtilités malgré un sujet dont la violence psychologique est indéniable.

Bea_Dls
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le 12 juin 2017

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Bea Dls

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