[Avec plus de 5 milliards de recettes, F&F figure dans le top 10 des sagas les plus rentables de l’histoire du cinéma. L’occasion de pleurer sur le septième art, de se questionner sur ce qui fait son succès, ce qu’il dit du monde qui la plébiscite et de son évolution au fil des exigences fluctuantes du box-office. Une saga critique en huit parties]
Pour comprendre l’évolution de la saga F&F, on pourrait oser sans honte la pitoyable analogie avec un boitier de vitesse : à chaque épisode, on fait rugir la machine d’un cran supplémentaire et on monte dans les rapports. Mais pour pouvoir exprimer tout le potentiel des bolides et de leurs burnés chauffeurs, il faut quitter les pistes conventionnelles et atteindre des sommets inédits des WTF.
Tout commençait pourtant assez modestement. Les courses sont certes punchy, mais ne vont pas à la cheville de ce qu’ont pu filmer des gars comme Friedkin ou George Miller : le débardeur de l’un et la permanente de l’autre agrémentés de leur clash de collégiens intéressent d’avantage que la vitesse elle-même.
Les voitures changent, le principe reste le même : on s’affronte pour les posséder (pareil qu’avec les femmes) et plus la série monte en gamme, plus les bolides sont prestigieux. On comprend bien que rester au sol limite un peu la verve des scénaristes. Dès FF2, on saute : sur un pont ouvrant, dans un yacht depuis la rive, et c’est la porte ouverte aux riches heures de la saga. On saute carrément dans des ravins en bout de piste, on dévaste une ville entière à coups de coffre-fort arrimé à des câbles, on traverse trois buildings consécutifs à Dubai.
Les gens à côté contemplent. Je n’ai toujours pas compris pourquoi un convoi braqué continue à rouler : c’est le cas des camions dès FF1, et ça se poursuit dans le prologue de FF4, et jusqu’au train gardé par le FBI dans FF5, dont les agents ne jugent pas pertinent d’actionner l’arrêt d’urgence. Vous me direz, c’est le principe même du titre, au risque d’incohérences profondes.
Ensuite, la saga suit le principe de la coupe de glace. Plus tu rajoutes des toppings, plus c’est supposément bon.
1er ajout : l’azote. Dès l’origine, on te booste les moteurs avec cet additif fantastique qui permet au moteur de s’enrichir d’un bruit à la Star Wars et de transformer les décors en travellings compensés. Effet garanti.
2ème ajout : les méchants. Ils ne peuvent décemment pas se contenter d’être des rivaux dans la course. Il va falloir mettre en jeu la vie de nos preux chevaliers. Les gangsters sont un peu gentils quand même dans FF1 (normal, ils deviendront les gentils de toutes les suites), et affrontent par la suite un baron de la drogue, des yakusas, et à partir du 4, on change de niveau. On parle du cartel le plus dangereux de Rio, et comme on a fait le tour sur la noblesse du trafic de stupéfiant, on va se frotter à d’autres thématiques.
3ème ajout : la technologie. Le cambouis et les pistons, c’est bien mignon, mais les producteurs comprennent rapidement qu’il va falloir élargir un peu les portes de la niche si on veut que toute la famille se déplace dans les salles obscures. À partir de FF5, on passe à une logique Mission : Impossible, avec des teams aux rôles bien précis (le geek, le bourrin, le bouffon, la bombe..., une sorte de Breakfast Club qu’aurait trouvé un boulot, sauver le monde tout en restant cool) et des appareils qui permettent d’espionner la planète ou de faire griller une capitale comme un toaster un jour de pluie, voire de déclencher tous les pilotages automatiques de la ville en mode Zombie Time. On comprend plus trop, mais là n’est pas la question. C’est même un argument : le WTF est revendiqué, on est dans l’ère du craquage, lourdement soulignée par des répliques bien senties : Roman : « So we got cars flyin' in the air, on some 007 type shit? This is not what we do !” Ou encore “That ain't a plane. That's a planet ! ».
La team de FF a toujours des plans. Dans FF5, on est sur un modèle Ocean Eleven, qui va rapidement partir en sucette au profit d’un tsunami de bitume : les plans futurs seront donc des absences de plan, et partant, de crampes cervicales pour la team des scénaristes.
Tej Parker: Uh, guys, we might wanna come up with another plan! They got a tank!
Tej Parker: Plan B? We need a plan C, D, E. We need more alphabet!
La solution ? C’est Brian, au volant, qui parle avec une bonne vielle CB et qui assène : Hey! We do what we do best. We improvise, all right?
Et ça marche. Les kékés du garage deviennent des super héros, qui te font des coups de boule planés, jouent à chat avec des drones Predator, font d’une porte un surf sur des escaliers en mode Legolas, courent sur des bus qui tombent dans le vide, des courses en mode Mad Max, affrontent des bagnoles type Batmobile, et sauvent la planète comme le feraient les Avengers.
C’est cool. Finalement, qu’importe le piston, pourvu qu’on ait la graisse…
La suite, c'est vendredi prochain.
https://www.senscritique.com/liste/Fast_Furious_une_etude_integrale/2203860