Jamais un film n'aura porté aussi bien son titre français. "Faute d'amour" expression à double sens qui désigne le manque, ou bien l'erreur. Et c'est bien de cela dont il est question tout au long du film d'Andrey Zvyagintsev décomposé en deux parties.
Il y va d'abord d'une mise en place. Un contexte (un couple en instance de divorce qui se déchire), un environnement (Moscou la mégapole impersonnelle) et une toile de fond (la Russie néolibérale). Zvyagintsev et Oleg Negin se sont servis de cette base pour construire un scénario, particulièrement maitrisé à la mécanique huilée, sur le désamour et ses lourdes conséquences.
Au départ, l'intrigue est relativement commune presque statique. Le drame n'est alors qu'ébauche. Zhenya est devenue l'épouse encombrante, Boris s'avère être une erreur de casting pour sa femme et Alyosha est l'enfant non désiré qui un matin va disparaître...
Le film bascule alors, c'est à ce moment là que tout va s'enclencher... En adoptant le schéma de la dramaturgie classique (unité de lieu, temps et action) Zvyagintsev apporte à son film non seulement une efficacité tenue de bout en bout sur les 2h08 de la durée, mais il va plus loin en réussissant à dépeindre un pays devenu totalement aride où l'individualisme est de mise quitte à provoquer quelques dommages collatéraux. En filigrane, la société de sur consommation est épinglée dont les êtres humains sont les premières victimes (mère abandonnée, enfant délaissé, haine exacerbée des conjoints... tout devient remplaçable ou jetable). Les pouvoirs publics ne sont pas en reste (police amorphe, flashs infos ciblées sur le pouvoir et l'argent... Tout est à l'image de ce centre de loisirs désaffecté où les recherches vont s'établir à un moment, certes l'état est quelque peu pitoyable, il n'est pas pour autant en ruine. Avec volontarisme et quelques bonnes volontés, il pourrait être rénové, performé. Mais cela semble aller à l'encontre de la gouvernance qui mise sur le béton rutilant, quoique déjà flétri, vers un modernisme impersonnel.
Mais bien plus que la critique sociale, le film frappe fort sur l'étude de caractères. Elle est tout aussi redoutable et pointe l'index sur ce couple devenu abject avec le temps. Le voile se lève sur eux petit à petit et plus on en découvre, plus on se dit que ce qui se passe était prévisible. Zvyagintsev n'a aucune empathie cette femme et cet homme. Tel un entomologiste, il nous les fait observer dans leur bocal, avec leurs réactions d'insectes déshumanisés, qui semblent, dans un premier temps, dénués de conscience. Un tel niveau d'observation, la fiction se colle ici à une certaine réalité, fait que le sang se glace et l'on a qu'une seule envie, de pleurer, de crier (même sans son sortant de la gorge) comme le petit Alyosha.
Heureusement, Zvyagintsev nous laisse une note d'espoir, avec le GRED, un groupement de bénévoles qui se chargent de rechercher les enfants perdus (en Russie ce genre de structure existe vraiment). Volontaires, ils forcent bien des portes et notre respect par là même. Le salut de la Russie viendra t-il de ces femmes et hommes qui savent ce que "entraide" signifie encore et trouver le juste milieu entre une société d'antan liberticide et celle d'aujourd'hui, même si plus confortable en apparence est tout aussi dévastatrice ?
Le si le film marque autant (l'ambiance était lourde sur le générique de fin), c'est bien évidemment par sa construction, évoquée ci dessus, mais également par sa forme. Les décors quasi crépusculaires, la ville fantomatique, la grisaille permanente sont autant d'éléments anxiogènes qui contribuent au mal être. Quant à Maryana Spivak et Alexey Rozin, les parents, leurs prestation sont parfaites, totalement crédibles, à faire froid dans le dos.
Pour les spectateurs qui pourraient être rebutés par la bande annonce, ou les quelques commentaires négatifs ici ou là, je ne peux que les inviter à y aller. "Faute d'amour" est un des très grand film de 2017, puissant et remuant porté par un réalisateur extrêmement doué.