Ce n'est pas sans un certain plaisir que l'on retrouve le juge d'instruction Anne Gruwez qui a déjà fait l'objet d'un reportage pour l'émission Strip-tease en 2011. Sept ans après, ce juge totalement atypique a conservé toutes ses qualités, humour, verve, fantaisie, poigne, curiosité et perspicacité.
Il a fallu 3 ans à Jean Libon et Yves Dinant pour monter le projet. Pour éviter la redite, ils tenaient, pour un format cinéma, à structurer le documentaire, ne se contentant plus d'assembler des séquences cocasses, surprenantes ou dramatiques. Cette scénarisation de la trame n'entache pourtant jamais la vision si particulière des deux complices puisqu'ils ont trouvé en Anne Gruwez "le cas" idéal, chaque minute passée avec cette femme se révèle désopilante.
Parce qu'elle lui tient à cœur, Madame le juge décide de ressortir une vieille affaire de mœurs, le meurtre de deux prostituées, classée sans suite. L'évolution technologique des moyens permettront peut-être de retrouver le nom du coupable. Ce sera le film rouge du film. Chaque séquence de l'enquête (extrêmement poussée) s'intercale avec d'autres plus actuelles, les comparutions de délinquants de tous ordres.
Mené tambour battant, le documentaire vous happe dès les premières secondes. Le réflexe est d'abord de rire aux réparties d'Annie Gruwez, mais aussi de sa manière d'être (la 2 CV, son goût vestimentaire, sa gourmandise...). Qu'elle soit avec ses collègues ou les prévenus, elle a le verbe haut et un sens de la répartie inné prompt à clouer le bec. Ses digressions sont toutes autant savoureuses. Mais très vite résonnent les mots de Figaro, « je me presse de rire de tout avant d'être obligé d'en pleurer ». A l'inverse d'un Depardon qui filme ses "témoins" de front, Linon & Dinant eux attaquent à l'usure, à la réplétion. La précarité et son cortège de mauvaise fois chez certains, de solitude, de désœuvrement, voire d'agressivité, prévaut la distance. Et l'arme puissante du juge est la diversion (propos décalés, moquerie, curiosité, familiarités...). Elle surprend, déstabilise, apprivoise. Cela se révélant des plus efficaces. Mais cette arme est également un moyen d'auto-défense probant sans lequel Anne Gruwez ne supporterait ce métier prenant et cette accumulation d'affaires sordides ou violentes qui ne cessent d'augmenter. A l'image du Palais de Justice de Bruxelles où elle officie, soutenu depuis des années par des échafaudages, les excentricités du juge Gruwez tiennent lieu de soutènement !
D'aucuns reprocheront au documentaire de Linon & Dinant d'être une redite du reportage de 2011. On peut le considérer plutôt comme un prolongement qui permet connaître plus intimement la personnalité d'Anne Gruwez et donc son fonctionnement.
Autre reproche peut-être sur la forme avec l'aspect superficiel, le traficotage de la réalité, les arrangements pour faire rire avec ce qui ne devrait pas. C'est pourtant le concept même de l'émission "Strip tease" qui a été suivie par un large public pendant 20 ans. C'est aussi une manière d'aborder des sujets difficiles autrement que de provoquer l'angoisse stérile et, de fait, de permettre d'y réfléchir vraiment. L'excès pousse toujours à chercher le juste milieu, se positionner différemment et tenter de comprendre. Et si le comportement de cette juge étonne ou agace c'est bel et bien parce qu'elle amène du "cœur" là où chez certains spectateurs il n'y a que la sécheresse des préjugés manichéens.