Une juge atypique. C'est par ce doux euphémisme que nous avait été présentée la juge d'instruction bruxelloise Anne Gruwez dans un reportage il y a de cela une bonne dizaine d'années au cours de l'une de ses journées de travail palpitantes. Et c'est elle que les deux larrons de la série de reportages Strip Tease sont presque naturellement allés retrouver pour leur premier long métrage documentaire.
Bercé par leurs cultes réalisations, pèle-mêle Docteur Lulu, 135,3 dB ou encore Les Rois d'Internet et à la sortie d'un cursus universitaire en droit pénal, Ni Juge Ni Soumise s'annonçait déjà comme un incontournable. Autant le dire d'emblée, les attentes furent largement comblées à l'occasion de cette traditionnelle sortie cineday du mardi.


Posons le décor et le personnage, en l'occurrence une magistrate complètement fofolle, à la punchline facile prenant la décision de rouvrir les dossiers de meurtres de deux prostituées belges au début des années nonante. Entre audiences de cabinet, transport sur des scènes de crime et mesures d'instruction, la caméra ne nous épargne rien des tribulations de cette tornade humaine au sein du système judiciaire belge. De suite, les méthodes à la "va comme je te pousse" et un tact d'éléphant dans un ballet sautent aux yeux.


Dotée d'une conception ultra particulière de la présomption d’innocence et de la manière de ménager ses clients (sic) comme elle appelle ses justiciables, Ni Juge Ni Soumise dresse le portrait juste d'une femme de la justice comme il doit en exister très peu en ce monde. Tour à tour mamy badass friande des transports tous gyrophares hurlants, grand maître de self-défense auto proclamée ou meilleure copine, Anne Gruwez n'en reste pas moins un formidable juge de personnalités, l'une de celles qui avancent à l'instinct et sur qui les impératifs de la justice et avocats se cassent les dents régulièrement.


Au delà de la réouverture du cold case précédemment mentionné, les réalisateurs ont sélectionné un peu moins d'une dizaine d'auditions sur les centaines filmées et réussissent le pari de présenter à l'écran des dialogues au contenu plus incroyables les uns que les autres. C'est bien simple, s'il ne vous suffit, comme c'est mon cas, que d'une formule linguistique belge bien sentie pour esquisser un sourire, ça sent la grosse marrade générale comme lors de ma séance.
Certaines scènes (l'exhumation ou la légende de la main du curé) sont complètement invraisemblables et deviennent même d'ores et déjà cultes grâce aux protagonistes et notamment ce trio de filcs de la section de recherche qui épaulent parfaitement la magistrate dans ses aventures.


Format oblige, les cas choisis ne connaîtront pas forcément de dénouement, à la manière du reportage 10e chambre, instants d'audiences de Raymond Depardon (2004) mais la justesse du propos et l'échantillon des justiciables choisis est une totale réussite. Les réalisateurs parviennent à dresser en l'espace d'une heure et demie, un éventail cohérent et réaliste de la délinquance et criminalité belge d'aujourd'hui et du traitement pénal réservé aux auteurs de ces infractions.


Le ton varie du vaudeville potache au drame et l'on reconnait bien là Strip Tease dont les méthodes ont toujours oscillé entre le comique et le voyeurisme de la misère humaine.
Car oui, il s'agit bien de misère humaine et si l'on rit, on oublie pas que la réalité est à portée du spectateur, à l'écran. Que la justice pénale nous ramène toujours à la noirceur de l'âme des gens et des drames qu'engendrent les délits et crimes.
Le meurtre des prostituées, fil rouge du film, est à ce titre le moins porteur d'émotions tant il semble anachronique mais le bref aperçu des photos de la scène de crime suffisent à rappeler l'ampleur du massacre.


En définitive, le spectateur traverse le film comme Anne Gruwez traverse ses journées. Avec une bonne dose de rigolade, avec des moments durs relativisés par une énième réplique culte et avec le recul nécessaire pour ne pas faire de chaque cas une affaire personnelle.
Oui mais, assis devant l'écran, qu'il serait audacieux de déclarer comme la magistrate que "rien sur Terre peut me dégoûter" sans avoir connu la réalité du terrain. Elle se ravisera d'ailleurs de cette déclaration à la description d'un cadavre "pas très frais et plein de crevettes" repêché d'un canal le matin même : "mais c'est dégueulasse, n'y touchez pas! "
Comme s'il fallait en douter, l'esprit de Strip Tease est de toute manière bel et bien de retour, pour les meilleurs et pour les pires côtés des hommes, pour les meilleures comme les pires crapules du Plat-pays qui est le sien.


Dura Lex, Sed Belgica : la loi est dure, mais c'est la Belgique!


(8,5/10)

Ol-Pao
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le 21 févr. 2018

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Ol Pao

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