Le Méluche-boy black old school (et usé à l'intérieur)

Denzel Washington se sert d'une pièce de théâtre couronnée par le Prix Pulitzer (Fences d'August Wilson, jouée pour la première fois en 1985) pour faire un grand numéro de cabotin bien brave mais avec son côté sombre ! Cela se traduit par une logorrhée de 2h20, conforme aux mensurations prescrites pour les Oscars. Le résultat pourra servir à illustrer les fossés possibles entre qualités techniques pures et direction, mise en scène. Fences ne manque pas de matériel ni de talents précis, mais c'est du théâtre filmé en décors 'naturels' (tournage à Pittsburgh en Pennsylvanie), lourd et statique à tous les degrés.


Les quelques personnages ne cessent de parler pour ne rien dire, la séquence avec Bono comme conseiller matrimonial atteint des sommets. Denzel cabotine à outrance, apparemment persuadé d'embarquer le spectateur. Lui et ses auteurs doivent être sûrs de l'aura du personnage, sorte de vieux con charismatique, du genre excessif et autoritaire mais tellement plein de mérites. Il a fait son devoir mais est prisonnier d'un système de déni – propres à de nombreux chefs, petits ou grands. À travers lui s'éprouve une compassion un peu artificielle, type 'carte postale' à fort potentiel (politique), envers le patriarcat ouvrier.


Ce dernier est représenté au moment où son autorité vacille et où le sujet lui-même doit perdre de son aisance – une sorte de compromis habile. On ne verra ni son héroïsme du quotidien, ni les fautes courantes chez les gens qui se cassent à la tache ; les pics d'aigreur régulièrement, pas les retours au bercail bourré le soir (ni les coups ponctuels, l'erreur qu'il a toujours reconnue). Dommage que ce sens de l'ellipse ne s'applique pas à la forme, car il reste une série d'étalages sans substance. Tout ce qui pointe va s'affaisser ou s'oublier au fur et à mesure, par pudeur, incompétence et conformisme mêlés.


La religion est omniprésente mais ne sert et soutient rien dans ce récit – elle enrobe de la même façon apathique le frère demeuré (suite à un accident). Le ressentiment envers les Blancs s'éteint à force de ne pouvoir émerger que via des broutilles. Même les outrances du premier quart-d'heure vont se perdre ; au moins elles avaient le mérite d'annoncer un film assumant des parti-pris, quand bien même leur expression serait grotesque et démagogique. Fences a voulu attirer la bienveillance à l'époque des Black Lives Matter, mais sa contribution est plutôt insignifiante.


Il est davantage représentatif du bilan sur la cause Noire au terme du double-mandat d'Obama : un bon dossier bien absorbé, carrossé pour les sorties officielles insipides où tout le monde peut applaudir en mode automatique, sans suspicions ni enthousiasme. Les jeunes acteurs et surtout Viola Davis sont très bons, cette dernière est gâtée par l'écriture de Rosa et les autres par les situations, où ils ont l'occasion de remuer l'édifice – même si c'est vain pour le film dans son ensemble, car sans suite ni conséquences distinctes.


https://zogarok.wordpress.com/2017/03/31/fences/

Zogarok

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