Il aura fallu 10 ans à Denzel Washington pour revenir derrière la caméra, lui qui avait débuté la réalisation en 2003 avec Antwone Fisher, un biopic convaincant mais qui ne s'extirpait jamais de son classicisme. Chose qui pouvait s'appliquer aussi à son deuxième film, The Great Debaters sortie en 2007, où Washington s'imposait comme un faiseur efficace mais sans génie. Et après une décennie où l'acteur s'est impliqué dans des rôles de séries B plus ou moins convaincantes, on sent une envie de sa part de retrouver un grand rôle à sa mesure, quitte à ce qu'il doive retourner à la réalisation pour se le donner. Car il ne fait aucun doute que Fences est avant tout un film d'acteur.


Tiré de la pièce de théâtre du même nom de August Wilson où Washington tenait déjà le rôle principal dans la version revival de 2010, il décide de l'adapter au cinéma avec la même bande d'acteurs qui l'accompagnait sur les planches de Broadway. Il fait preuve d'un respect évident pour le matériau d'origine, par moments même trop maniaque, refusant de faire des coupes dans le texte de Wilson qui auraient été bénéfique à son film. Fences est donc beaucoup trop long et bavard, parfois juste pour ne rien dire où alors il se répète inlassablement. Le récit en devient bien trop lourd même si il laisse tout la place aux acteurs pour s'exprimer. Car le but ici, c'est la performance d'acteurs, sur ce point l'on ne sera pas déçu. Ils sont tous excellents dans leur rôles avec en tête Denzel Washington totalement habité par son personnage et qui signe sa meilleure performance depuis des années ; et Viola Davis, absolument renversante de justesse et d'émotions dans un rôle qui pourrait bien lui faire remporter un Oscars cette année.


S'intéressant aux obsessions personnelles et la pression qu'elles effectuent sur le cocon familial, le scénario s'impose par son intelligence malgré certains dialogues qui brillent par leur absence de subtilité. Que ce soit dans ses réflexions sur la mort, l'héritage, le temps qui passe, etc, le film a tendance à beaucoup trop s'écouter parler et devient assez vite évident dans le chemin qu'il a l'intention de prendre. Pourtant il ne manque pas de pertinence quand il montre les espérances de chacun venir entraver celles des autres. Il étudie avec finesse et un fatalisme bienvenu le paradoxe humain, où un être profondément individualiste ressent néanmoins le besoin de vivre en groupe. Il parvient à dépasser le cadre de son époque par l'universalité de son sujet et montre que la famille des années 50 n'est pas si différente de la famille actuelle. Dommage qu'il tombe dans un final trop moralisateur qui casse la rudesse du propos avec une imagerie un peu trop niaise dans ses derniers instants. Dans sa volonté de ne prendre aucun parti pour ses personnages, Denzel Washington fait aussi de mauvais choix de réalisation. Sa mise en scène part d'un principe intelligent, isoler les personnages au sein d'un même lieu, mais il ne parvient pas à le tenir sur la durée. Il casse à de trop nombreuses reprises son principe d'enfermement, pourtant bien suggéré par le titre. Jamais on ne ressent les clôtures ("fences" en anglais) que ce sont fixés les personnages à eux-mêmes car Washington les laisse bien trop souvent respirer. En faire un huit clos aurait été plus judicieux, et cela aurait permis au film de ne pas voir sa force être diluée dans une absence de direction claire.


Fences est un film qui aurait gagné à avoir une demi-heure de moins et une direction plus affirmée dans sa réalisation. L'oeuvre est entièrement tournée vers ses performances d'acteurs, ce qui la rend tout aussi admirable qu'épuisante. Car après une première heure vraiment superbe, le tout s'essouffle, devient bien trop bavard au point de se répéter et ne semble plus vraiment savoir où il veut aller. Denzel Washington nous réintroduit au grand acteur qu'il est, mais prouve qu'il n'a pas les épaules suffisamment solides pour être un grand réalisateur. Avec Fences il offre peut être son film le plus marquant, et distille de bonnes idées ici et là, mais il ne parvient pas à dépasser les barrières de son classicisme un peu ronflant. Reste que Fences a une base solide sur laquelle se reposer, livre quelques sublimes fulgurances et est habité par un casting exemplaire, avec une Viola Davis au sommet. Une réussite en demi-teinte.


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le 21 févr. 2017

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