Foxtrot s’ouvre sur une porte, et un échange d’une intensité peu commune : les deux militaires sur le pas n’ont pas le temps de parler que la mère en face d’eux comprend et s’évanouit, quittant le cadre pour laisser apparaître derrière elle un tableau d’art contemporain ; figure abstraite d’un tourbillon carré qui présage bien des directions labyrinthiques d’un récit à venir, qui refusera à plusieurs reprises la ligne droite.


La séquence d’ouverture est magistrale : poignante, elle voit le père affronter en silence l’impensable, à savoir l’annonce de la mort de son fils de 19 ans en mission pour l’armée israélienne. Les silences, la violence du contrôle exercé sur soi, l’hébétude et les brusques effondrements restitue admirablement le traumatisme du personnage. La relation à son chien, notamment, occasionne une scène d’une authenticité rare, où tout se joue dans les regards, la fragilité et la violence abrupte.


Face à ce couple, l’armée, qui pense avoir trouvé la solution pour lénifier tout ce que cette situation a de malaisant par un protocole qui confine à l’absurde : des phases, des phrases, un parcours millimétré qui exige notamment qu’on boive un verre d’eau par heure : le soutien mécanique de l’institution devient ainsi une inhumanité supplémentaire face aux endeuillés.


Le deuxième temps du récit ira du côté du fils, garde-frontière au milieu de nulle part. Place à une tonalité nouvelle, un humour décalé et très graphique qui dit avec un certain charme tout l’absurde de cette guerre permanente dans laquelle est engagée l’Etat d’Israël. 4 jeunes soldats devant une barrière au milieu d’un désert de flaques de boues, laissant passer un chameau ou de rares véhicules inspectés à l’excès. Sur l’inanité de cette mission muette, Samuel Maoz (dont c’est le deuxième film après le remarqué Lebanon en 2009) visite les terres de Beckett, tandis que son esthétique, très travaillée, lorgne du côté de Jeunet pour les intérieurs humides et bricolés, ou Lynch dans les nuits esthétiques sillonnées par les phares de quelques voitures.


Le film prend son temps : c’est justifié lorsqu’il s’agit de faire front avec la terreur des parents, mais ça l’est moins lorsque la deuxième partie joue des redondances (contrôles à répétition, par exemple) et fait de ses afféteries stylistiques une fin en soi. Car Maoz aime filmer, et montrer son enthousiasme. Cela occasionne de belles séquences, et un point de vue insolite en adéquation avec l’absurdité de la situation qu’il évoque, à l’image de cette belle idée du baraquement qui penche dans la boue. Mais c’est aussi un défilé formaliste qui peut tourner à vide, surtout lorsqu’on constate qu’il utilise les mêmes procédés pour évoquer la douleur ou recourir à l’humour.


C’est là un des problèmes du film : son unité, et la manière de faire tenir autant d’idées et de démonstration au sein d’un seul opus. Du premier au deuxième segment se dessinent déjà de nombreux symboles et thématiques, des esthétiques différentes (dont un recours au dessin qui évoque très clairement Valse avec Bachir) que viendront largement complexifier le troisième. Un peu d’épure, tant formelle que scénaristique, aurait été bienvenue.


La troisième et dernière partie, jouant des ellipses, vient déstabiliser le spectateur qui en était resté à la contre annonce de l’armée qui avait déclaré par erreur la mort du fils. On apprendra finalement, après quelques détours savamment orchestrés, que celui-ci est finalement bien mort sur le chemin du retour, par la faute du père qui avait exigé d’aller le chercher sur son lieu de mission. La thématique de la culpabilité, lié à l’athéisme des parents, vient donc épaissir un récit qui évoquait déjà des secrets bien nombreux : l’échange d’une Torah familiale par la père contre un magasine érotique dans sa jeunesse, un souvenir de guerre traumatique, et une bavure du fils… Le tout sous la musique d’Arvo Pärt, n’en jetez plus.


Alors que le formalisme lui-même devient de plus en plus prolixe à mesure que le film avance, l’écriture de Maoz s’enlise et ploie sous ses nombreuses couches, qu’on veut d’ailleurs sans cesse relier au titre, Foxtrot étant le nom de la compagnie du fils, mais aussi une danse qui consiste à dessiner au sol… un carré qui nous fait toujours revenir au point de départ.


Ce regard un peu sadique (on pense à certaines situations que Ruben Östlund aime bien faire vivre à ses personnages, comme dans Snow Therapy) et ces tics stylistiques délaissent un peu trop la fantastique intensité du début. Espérons que le prochain film de Samuel Maoz se fera avant la décennie prochaine, car il a beaucoup de talent à revendre, mais qu’il saura en élaguer une partie au profit d’une œuvre moins ostentatoire.

Sergent_Pepper
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le 2 mai 2018

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