Scénario :
Approchez approchez ! Venez dans la caravane. Vous y verrez les choses les plus horribles : des nains jumeaux qui couchent ensemble, des soeurs siamoises et pire encore, leurs maris complètement idiots. Il y aura des gens sans bras, des gens sans jambes, des gens sans bras ni jambe. Et puis, une morale disant que regarder ces gens comme des monstres, c'est mal, même si le nom du film porte le mot "MONSTRES" et que c'est ce qu'on va faire durant toute sa durée.
Et le clou du spectacle, la plus grosse difformité qui n'ai jamais existé, la voici... un film d'une heure et demi, AMPUTÉ de sa moitié finale !
Ce film fait partie de mon "rattrapage culturel" version "depuis le temps que je dois voir ce film."
En tant que sujet d'étude :
Cela faisait longtemps que je voulais voir Freaks, qu'on m'avait présenté comme un film sur des monstres de cirque qui prennent leur revanche ainsi qu'un film sur la différence. Bon, disons le tout de suite, les gens qui sont dans ce film sont ce qu'on appelle maintenant des handicapés.
Tod Browning sortait de Dracula et il lui fallait un nouveau sujet macabre et l'idée de montrer des bêtes de foires était dans la droite lignée. Du coup, l'idée de prendre des performeurs et des gens ayant ce genre de difformités était l'idée toute trouvée.
Mais tourner avec des monstres fictifs et des personnes handicapés change l'exécution du film. Aucun vampire n'a gueulé comme quoi Dracula était discriminatoire, et aucun d'eux n'a vraiment joué dans le film. D'où un film partant dès le départ sur une pente assez risqué, parce qu'il faut bien montrer les handicapés sous un jour bienveillant vu qu'ils constituent la majorité du casting du film... mais aussi montrer qu'il ne faut pas leur baver sur les rouleaux et qu'ils peuvent en arriver à des trucs atroces si on les provoque. (Bah oui, c'est de l'horreur.)
Du coup, le film nous dépeint des méchants vraiment super méchant, constitué d'une superbe trapeziste qui séduit un des nains afin de s'accaparer sa fortune (venu de "c'est surement un héritage mais on vous expliquera pas pourquoi") alors qu'elle couche avec l'homme fort de la bande. Il faut qu'ils soient suffisamment odieux pour qu'on comprenne que la revanche des "freaks" est légitime.
D'où l'ajout aussi d'un autre couple, miroir du premier, qui lui est trop choupinou : ils sont copains avec les handicapés, ils les aident, n'ont pas de condescendance et les traitent comme des être humains normaux.
Sur le papier ça aurait pu marcher, mais le film a fait un four total. Suite à une première projection mitigé, le film est censuré d'un tiers. Malgré cela le film est boudé par la foule, la carrière de Tod Browning se casse la gueule. De plus, le code Hayes entre en vigueur et empêche tout autre films "dans le même genre" d'apparaitre.
Le film est boudé jusqu'à devenir un classique lorsqu'il est redécouvert dans les sixties et servira d'inspiration à bon nombre de gens.
Mon avis personnel :
Le fait que le film soit bref, donne quelque chose de très resserré qui garde une force assez saisissante. Avec son ambiance de vieux cirque, il a ce truc suranné qu'on ne pourrait plus jamais reproduire et c'est en cela qu'il m'a filé un léger malaise.
En effet, à voir des hommes troncs, des gens qui marchent sur les mains, fument avec les pieds, je me suis aussi retrouvé dans la position du spectateur de ce genre de cirque. Et le fait que les "foires aux monstres" n'existent plus m'a donné l'impression que ce film les reproduisaient : j'étais venu voir "ce film bizarre dans lequel on voit des monstres de cirques."
Le film est d'autant plus bizarre qu'il souffle sans arrêt le chaud et le froid entre la comédie, le plaidoyer en faveur des performeurs des cirques et son abrogation. Alors qu'il fait littéralement dire "hé, c'est pas bien de se moquer de la difformité des gens" (notamment une personne androgyne) une des intrigues du films concerne deux soeurs siamoises collés par le ventre, qui sont séduits par deux prétendants qui ne supportent pas l'autre moitié et ne comprennent pas pourquoi celle-ci reste toujours dans le coin. Certes, ça fait de l'humour absurde, mais au milieu d'un film pourtant bien encré dans le réel, ça fait tache. Surtout que cette intrigue purement comique n'a pas vraiment de chute.
Le pire, c'est que même si on voit clairement qu'il y aurait du y avoir une fin plus consistante : la mise en scène est bien foutue, on a l'impression d'être dans un vrai cirque, les acteurs handicapés comme valides sont bons. Et il y a toute une scène de bagarre se passant à l'extérieur et à l'intérieur d'une caravane alors qu'elle traverse la pluie, de nuit qui est franchement intéressante cinématographiquement parlant.
Mais en reste un petit quelque chose qui me rend un peu coupable d'avoir vu ce film.