Freaks a cette particularité atypique de se présenter sous les atours de la fable, voire du récit fantastique : récit encadrant, flashback, transformation de la méchante en guise de châtiment, tout y fonctionne sur le principe de l’apologue. Mais l’enjeu du film est de passer par une représentation réelle des « monstres » et partant, de les humaniser.
La première incursion dans une forêt très édénique, les présente comme des enfants, miroir des spectateurs à qui on va raconter ce conte cruel, premier renversement des perspectives, d’autant qu’on y montre un propriétaire tolérant qui laisse à l’air libre ceux qu’on a l’habitude de cacher, possibilité utopique qui sera démentie par les portraits humains qui suivront.
La communauté du cirque, telle qu’elle est présentée, est le véritable sujet du film, finalement presque documentaire. Entre autodérision et solidarité, situations comiques (le bègue et sa femme siamoise, en prise avec sa belle-sœur, l’accouchement de la femme à barbe), Browning humanise les individus avec un talent indéniable. Deux figures féminines, Cléo et Venus, opposent les figures de la femme « normale » face aux difformes : l’humaine et la monstrueuse. Tandis que le récit s’articule autour d’une histoire tristement banale d’héritage et de mensonge amoureux, la dynamique va évoluer autour de deux scènes de cauchemar particulièrement bien menées. Celle de l’humiliation, tout d’abord, lors d’un repas de noce alcoolisé au beau milieu de la piste du cirque et durant lequel toutes les vérités seront dévoilées à l’amoureux trahi. Celle de la vengeance, enfin, scène horrifique où la communauté offre à la coupable l’effroi qu’on associe habituellement à leurs personnes. Voyeurisme entre les marches des roulottes, foule grouillante dans les flaques de boue, les Erinyes foraines convergent vers le véritable monstre.
Film révolutionnaire dans son audace, longtemps interdit, Freaks est un tournant dans le cinéma : parce qu’il puise dans ses origines, l’attraction foraine, parce qu’il perpétue la tradition du récit à visée morale, mais tout en s’emparant du réel sans fard au profit d’une empathie et d’un humanisme d’une intensité nouvelle.