La solitude de l'anarcho-primate
Détenant le premier classement X pour un long-métrage d’animation (si on met de côté Cleopatra des Animerama, l’obtenant semble-t-il par erreur ou négligence), Fritz the Cat (1972) est l’adaptation de la bande-dessinée éponyme de Robert Crumb. Fritz the cat est l’oeuvre la plus célèbre de ce pape des comics ‘underground’. Il sera tellement dégoûté par le film qu’il demandera à en être dissocié et fera mourir sa créature fétiche peu après.
Fritz the cat est l’archétype parfait de l’homme inaccompli, sale, puant et immature, avançant vers le monde comme un parasite tout en se croyant au-dessus de la mêlée. S’il était humain, Fritz pourrait devenir lecteur voir même contributeur pour le Charlie Hebdo et ces autres merdes prenant leur virulence de gorets pour un attentat aux nécroses sociales. Dans un monde jungle, où tous sont beaufs et malhonnêtes (c’est le côté « anarchiste – de droite » du délire), Fritz se pose en complaisant, vêtu comme un antagoniste ; l’inverse serait davantage méritoire.
En effet, tout ce qui fait l’époque (ère hippie) mais aussi les courants contestataires est caricaturé. Fritz raille la stupidité de ces jeunes filles revendiquant leur ouverture d’esprit, alignées sur des éléments de langage émergents à l’époque et dominants aujourd’hui ; il prend le contre-pied de cette contre-culture bidon, prétexte pour bourgeois et étudiants en mal de causes nobles et de marginalité superficielle. Finalement, le film pourrait être très avisé, presque visionnaire, car il n’a aucune illusion sur ces postures rebelles et sur les prétextes des rebellocrates, passés, présents et futurs.
Cependant il n’y a pas tant de structure et de volonté dans Fritz the Cat. Fritz est un beauf de son temps, cherchant à profiter de l’ébullition qui l’environne. Il a l’intelligence de tirer parti des situations s’offrant à lui et prendre à son compte les indignations ‘politiquement correctes’ ou celles adaptées à ses auditoires d’exclus ou des bas-fonds. Ainsi il amadoue les gens, se moque d’eux et les exploitent. Pour déguiser ses simples intérêts vicelards, il mime l’artiste illuminé et baroudeur malheureux arrivé au bout de lui-même et du monde.
Il se fait défenseur de la cause noire et se pose en tribun, contre les patrons et les blancs, pour les noirs et les ouvriers considérés comme des esclaves ; quand son prosélytisme crée des émeutes, il s’amuse. Parfois c’est tendu, mais globalement, comme c’est fun ! Il y a bien des gens pour le remettre à sa place ; le corbeau (les blacks sont des corbeaux dans Fritz, choix improbable) se prenant pour un homme du grand monde, le péquenaud au milieu du désert lui rappellent ce qu’il vaut vraiment sous ses fanfaronnades. Soudain le Fritz est chahuté, mais il s’en remet vite. De toutes manières, le film prend son parti, celui d’un chantre de la paresse, de la médiocrité et de la jouissance élémentaire.
Sans ses provocations et ses déguisements d’anar ou de chaman, Fritz ne serait rien, tout au plus un prétendu petit anar’ sans aucune contenance. Il n’est en rien à contre-courant, c’est un opportuniste et un être tout à fait conformiste ; de ce conformisme d’adaptation permanente propre aux pattes molles, aux esprits lâches, vierges et inaboutis. Ralph Bakshi ne voit pour Fritz que l’hédonisme de pourceau ; il n’y a aucun intérêt pour un quelconque progrès, pour quoique ce soit de nouveau (comme il s’en réclame) et encore moins pour une démarche constructive. Le Fritz de Bakshi est juste un amoureux de la baise, de la bonne chair et de l’herbe magique. Voilà du punk pour jeunes adultes bedonnants.
Les braillards ‘engagés’ trouveront ici ce que leurs chers Simpson n’ont jamais osé afficher explicitement. En vérité, Fritz the Cat est un produit profondément nihiliste, avec certaines considérations réactionnaires ; mais comme anarchiste, moraliste revendicatif ou réactionnaire, Fritz est passif de A à Z. Tout le monde peut donc venir pousser son petit cri de vierge effarouchée sans être vraiment chamboulé. Les rebelles factices sont toujours les préférés des médias traditionnels et du public, aussi il n’est pas étonnant que Fritz the Cat ait engrangé plus de 100 millions de $ de bénéfices. Or ce film fait mal, mais pas comme il s’en réclame.
Il fait mal car il utilise les armes de la subversion pour servir son hymne à la régression. Du point de vue de Fritz, il faut dévorer le monde et multiplier les expériences, cumuler cunnilingus et missionnaires avec un maximum de partenaires. C’est un point de vue, largement étayé, finalement identifié et théorisé par ses auteurs : « on passe ses meilleures années à fouiller dans les poubelles encyclopédiques », mais la connaissance, ça sert à rien au final, nous alerte Fritz ! Ce film fait mal aussi car face à des forces nuisibles, souvent indirectes, à l’harmonie et au développement d’une société comme à l’intégrité d’une personne, il se contente de les jauger de loin et d’alimenter leur stupidité.
Fritz ne cherche pas à purger la société, à provoquer un chaos libérateur, pas plus qu’il ne veut s’en séparer. Il n’a aucun courage ni aucun jugement. Il est de la race des destructeurs et des parasites lucides, ceux qui ont tout intérêt à nourrir le statut-quo dans la décadence. En plus de la catastrophe éthique, ce spectacle est une peine en raison de la bêtise de son style. Tout y est vulgaire, balourd et transparent, des leçons de vie pour adolescents bloqués, de la philosophie pour potaches ‘punk’ dans l’idée mais sans idées.
http://zogarok.wordpress.com/2014/11/11/fritz-the-cat/