La persévérance a du bon : celle d’un réalisateur qui passe à la vitesse supérieure, celle d’un spectateur qui croyait aux promesses de ses débuts.
Goldstone est plus ou moins la suite de Mistery Road, puisqu’on en retrouve le personnage principal, Jay, flic indigène du Bush australien, s’enfonçant plus loin encore dans les territoires afin de mener une enquête pour le moins lacunaire.
Décapé jusqu’à l’os, son statut de flic est à peine visible, remplacé par un bon wasp qui commence par l’arrêter pour ivresse au volant. Le ton est donné : Ivan Sen a compris qu’en termes d’ambiance, le crépuscule d’une civilisation passe aussi par les ravages des individus et les ellipses du récit.
L’Australie semble être l’Afrique du XXème siècle, aux mains de colons qui posent des clôtures dans le désert et balafrent la terre à grand renfort de dynamite. Le couple grotesque du promoteur et de la maire dessinent une caricature effrayante de la présence blanche, et le flic plus ou moins à leur service la nouvelle garde qui devra faire un choix entre la corruption confortable et la droiture douloureuse.
Goldstone est un film éclatant de maturité : dans la richesse de ses dialogues, face à face qui disent la triste marche du monde, (notamment par deux figures maternelles glaçantes, la maire et la maquerelle), dans son exploration d’espaces à la mesure de l’avidité humaine, dans sa pudeur aussi pour traiter de thèmes aussi éprouvant que le deuil ou la prostitution. Autant de sujets déjà abordés dans Mistery Road, mais qui gagnent en intensité parce qu’exploités avec un sens de l’équilibre et une émotion beaucoup plus palpable. Ainsi des plans vus du ciel, qu’on avait déjà vus auparavant : Sen en fait ici une illustration du tragique tout à fait pertinente, de la même manière qu’il laisse à ses personnages la possibilité d’exister dans leurs silences et leurs hésitations.
La photographie joue sur les contrastes : en contrepoint de la terre ocre et aride, l’ambiance des néons roses pour un sexe tarifé dans des ambiances qui rappellent le travail des derniers Refn, artificielles et intenses, et au sein desquelles se décline la dépression contemporaine d’un monde qui réduit les êtres à l’état de marchandise.
Tout s’achète, s’exploite, s’essore, se jette. Le vieux sage, dernière déclinaison des trois âges de l’homme, est en partance dans des gorges qui disent l’origine du monde, sans pouvoir échapper aux violences apportées par la modernité.
L’enquêteur hérite d’un fusil à lunette déficient : lorsqu’il s’entraine, il comprend qu’il doit décaler le centre de la cible pour pouvoir faire mouche ; symbole admirable de l’approche clivée du récit par Sen, qui permet subtilement à son personnage un retour à ses origines sous la mélodie paradoxale du requiem.
Dans ce monde crépusculaire, un leitmotiv revient : celui de nettoyer la poussière. Tous savent que le temps passant, elle se redéposera. Goldstone chante tristement ce nuage âcre, et parvient à y discerner quelques discrètes volutes d’espoir.
(8.5/10)