FAUX-SEMBLANTS (1)
(Danger - spoilers à tous les étages)
D’abord, pour être franc, il faut préciser que le prologue ( ?), long, ennuyeux, presque prompt à solliciter le sommeil, peut sembler (mais rien qu’à la formule utilisée, on sent bien que c’est, sans doute, déjà biaisé) assez raté. On assiste à la rencontre, plaisante, d’un couple, un flirt tenant presque du coup de foudre, entre elle, grande classe, et lui sensiblement plus épais, un peu bovin – mais là encore, et pour les deux, les choses seront sans doute appelées à évoluer. Puis on a droit à des fragments de vie, sans intérêt excessif, où l’on sent bien que le couple se délite, des fragments mal reliés, puis à sa disparition, à elle, suivie d’une multitude d’informations dispersées, sous la forme d’indices à peu près incompréhensibles. On la regrette d’autant plus que c’est elle qui retenait d’abord l’attention.
Et puis tout bascule, doucement d’abord, lorsqu’on la retrouve, loin de là. Pour l’heure toujours aussi classe. Le film est en fait construit en trois temps : elle disparaît, elle réapparaît, puis elle re-re- … la suite relèverait du spoiler honteux. Le spectateur refait surface, d’abord parce qu’il dispose désormais d’un fil narratif identifié, pas forcément transparent, ce qui rend l’affaire de plus en plus passionnante. En effet le montage, probablement plus imputable à Fincher qu’à la romancière/scénariste, avec une chronologie très éclatée, marquée par la répétition, souvent accélérée, des « gone » puis des « home », finit par soulever une véritable tension.
Et celle-ci est encore décuplée par la performance de Rosamund Pike, magistrale dans ses transformations successives (sans jamais perdre sa classe définitive), de la femme de très bonne famille, d’abord très défaite, puis renaissant jusqu’aux frontières de Basic Instinct.
MARIAGE
L’institution en prend ici un vieux coup – puisque tout est dit, de la rencontre initiale, plus que prometteuse, entre deux amants presque idéaux, plus que prometteurs, puis un long déclin – dans lequel aucun épisode n’est souligné, lourdement appuyé, mais où tout apparaît (sans qu’on sache ce qui relève du vrai puisqu’on n’a en fait que les points de vue, de l’un ou de l’autre), de la distance liée à l’usure, jusqu’aux affrontements, plus ou moins violents, liés classiquement à l’argent, aux dépenses imputés à l’autre et jusqu’à la rupture, des plus banales – parce qu’il l’a trompée.
Ce « mariage à l’américaine » pourrait ainsi s’inscrire dans une grande tradition cinématographique, De de Sica à Altman, de Lelouch à Mendes … sauf qu’il ne s’agit pas d’un film sur le mariage.
C’est sans doute beaucoup plus, à travers une peinture plus globale de la société américaine et de la société du spectacle :
- avec ses animateurs, ses montreurs d’ombre, ses rois (ses reines en l’occurrence) du talk show, qui font et qui défont les opinions et les hommes ; avec, inévitablement liées, les foules prêtes au lynchage, sous couvert, cela va sans dire, de venir en aide ;
- avec aussi ses avocats, et ici, Tyler Perry, dans le rôle de Taylor Bolt, maître renommé (et dont les interventions sophistiquées ne s’avèreront, au bout du compte, que peu utiles - mais coûteuses) est remarquable et occupera sans doute une place de choix dans la galerie des avocats sanctifiés par le cinéma, quelque part entre James Stewart (celui d’Autopsie … évidemment) et Tony Shalhoub (dans The Barber). C’est à Tyler Bolt que Nick / Ben Affleck, de plus en plus convaincant à mesure que le film avance devra ce conseil plus que précieux, après les retrouvailles – « surtout, ne la contrariez pas … »
Ou alors, plus modestement et plus ludiquement, Gone girl est en réalité est un thriller haletant, de façon d’autant plus déconcertante que les scènes d’action (certes fortes) y sont très peu nombreuses – et que la parole y prédomine.
Un thriller à l’évidence, mais aussi une approche assez remarquable de la manipulation.
FAUX-SEMBLANTS (2)
Le piège se referme d’abord, essentiellement, sur le spectateur. J’en suis même à me demander si la première partie, initialement tenue pour si ennuyeuse, ne l’était pas délibérément – précisément pour placer le spectateur dans la situation de confusion absolue à laquelle Nick se trouvait lui-même confronté après la disparition de sa femme.
Et méfiez vous des apparences : dès le départ tout prend la forme d’énigmes, de jeux de pistes, totalement incompréhensibles (et qui le demeureront bien après la fin du film) ; et très curieusement ces énigmes se présenteront souvent en trois termes ou en trois temps, comme un jeu mathématique : dès leur rencontre, c’est elle qui lui soumet un « qui suis- ? » avec trois choix possibles (à la façon des tests proposés dans les magazines populaires), et lui de répondre avec déjà, une assurance un peu suffisante et pataude ; de même le jeu de pistes destiné à informer la police sur la « réalité » de leur relation est-il construit en trois étapes (dont je n’ai toujours pas exactement compris où elles menaient) ; et on a vu que le film, sa structure à twists et à rebonds, était également construit en trois temps.
A l’arrivée, quand tout semble « résolu », il vaut mieux ne pas trop creuser pour éviter de constater que là-dedans, tout est invraisemblable, incohérent et incompréhensible. Quand on lui demande des explications complémentaires, sur les lacunes béantes dans son récit, elle répond évidemment à côté, sourit et passe à autre chose.
Au reste tout est dit dans la dernière conversation entre les deux policiers :
- « Comment a-t-elle pu se servir d’un cutter alors qu’elle était attachée … ? »
- « passons à autre chose. »
Fincher se fout, clairement et génialement, de nous.
De façon très révélatrice, le revirement ultime, la redécouverte de « l’amour fou » (qui là mérite pleinement son nom), a lieu précisément au moment où elle découvre l’un des fameux talk shows – lorsqu’il lui clame en direct son amour infini et implore son pardon. Tout cela a évidemment été programmé, préparé, repris avec le concours de son avocat. Jeu donc. Faux-semblant. Manipulation en un mot.
Et leur amour reconquis passera tout de même par des phases très singulières : « déshabille-toi , que je sois sûre que tu n’as pas dissimulé un micro … »
Sur la manipulation, Gone girl est un film, qui va sans doute très loin. Au point que le film à peine achevé, on puisse avoir immédiatement envie de le revoir, pour vérifier, ou s’assurer que … à commencer par la première partie qui avait failli nous faire fuir. Rien que pour cela, c’est une réussite.