Brillantes, les surfaces de verre et les chromes étincelants des 4x4 d’une suburb impeccable du Missouri.
Brillante, la photographie d’un univers bleuté, haut de gamme, au glacis de magazine. Beaux, jeunes, riches, dans le cadre.
Brillants, les flashbacks qui contribuent à cette mythologie du couple parfait : glamour sans être totalement détestable, parce qu’affirmant sa différence par un regard lucide sur les autres : les hipsters de New York, les similis bouseux du Missouri, ou des parents décidément inquiétants dans leur création d’un être de fiction tel que l’Amérique les idolâtre.
Tout est brillant chez Fincher. Il le sait, il en joue, et en fait le sujet même de son film. Sa maîtrise formelle et son sens du récit qui transcendaient un polar efficace (Millenium), une enquête journalistique (Zodiac) ou une ascension économique (The Social Network) semblent atteindre ici leur apogée. Fluidité, rutilance, lenteur et méthode dans la construction de son univers à double fond constant : il est aisé de faire un parallèle entre cette obsession du contrôle de certains personnages et l’approche esthétique du cinéaste.
Car tout le film tourne autour de cette position intenable qu’est celle des icônes du rêve américain face au public qui veut les entretenir. Ici, point de stars, mais l’image la plus dure à faire perdurer, car à portée de tous et lourde des promesses de la perpétuité : le mariage.
Face aux enjeux économiques, au poids des parents, qu’ils meurent ou aient le tort de vivre encore, face au voisinage, et enfin aux enfants à venir.
Parce qu’il n’est ni Bergman ni Ceylan, Fincher s’empare du sujet via un policier qui va lui permettre de brasser tous ces thèmes. Polar froid, effrayant et machiavélique, moins dans la machination qu’il révèle que dans les conséquences qu’il s’attache à mettre en scène.
L’Amérique obsédée par son image ne pardonne pas à ceux qui la souillent ; pire, elle cherche à s’assurer qu’elle est parfaite, dans un sens comme dans l’autre : on divinise ou on lynche. Dès lors, ceux sur qui le regard est posé travaillent d’arrache-pied à jouer le rôle qu’on leur assigne. Film sur la mise en scène et la communication, Gone Girl excelle aussi à démonter les mécanismes de cet immense jeu de dupe et de l’hystérie collective qui le sous-tend, avec une férocité glaciale. La maison est assiégée, tout ce qu’on déclare passe au filtre des stratégies rhétoriques, on fait la course à la déclaration publique et l’on se parle par écrans interposés. Soldats de cette machine infernale, les journalistes, les avocats, voire les parents eux-mêmes. Tous complices, le sourire trop blanc, organisant comme une campagne électorale ou une messe les manifestations de soutien à l’amazing Amy.
[Spoilers]
De la même façon que sous le glacis d’un fond de teint sommeillent les haines les plus sourdes, de la même façon que le mari souhaite ouvrir le crane si joliment coiffé de son épouse pour y déceler ses pensées profondes, on cherche tout de même, dans la dernière partie, à retrouver ce noyau dur qui semblait si prêt d’être atteint dans la première heure. La surenchère scénaristique (en somme, le remake avec une nouvelle victime de la même machination) et les incohérences qui vont avec affadissent un peu cette intensité initiale. Le récit dérive clairement vers une farce proche du soap ne s’embarrassant pas de vraisemblance et les motifs qui font qu’on abandonne l’enquête sur Amy tiennent vraiment peu. On pourra défendre cette évolution en expliquant que la victoire d’Amy montre la complicité et la crédulité d’une foule complètement anesthésiée dans son sens commun comme elle l’est face à la télévision et ses déchaînements hystériques. On pourrait. La très belle scène de douche, par exemple, totalement improbable (on sort de l’hôpital encore couvert de sang ?) n’en est pas moins une superbe citation d’Hitchcock totalement détournée et d’un cynisme jubilatoire.
Mais le véritable regret est celui de la perte de l’ambivalence. En faisait d’Amy ce qu’elle est, le récit concentre sur elle toute la perfection et la monstruosité d’un protagoniste qui centralise l’attention et la condamnation. Fincher fait de son public ce que les médias font d’elle, certes à l’opposé, mais avec le même martèlement, occultant un peu ce qui faisait le tort des autres personnages : la médiocrité infidèle du mari, son attachement régressif à sa sœur, et l’aspect inquiétant de son riche et prévenant hôte.
Gone Girl est donc un excellent polar, superbe de maîtrise, ambitieux dans sa visée psychologique et sa satire sociologique, qui laisse un infime regret quant aux concessions faites à son ambivalence sacrifiée par les codes du thriller et de sa surenchère.
(8,5/10)