Il y a le choc, la claque, l’affront comme un crachat. Il y a eu le scandale, la nausée et les railleries stériles, mais il y a avant tout la puissance d’un riff électrique, une beauté écorchée vive, l’impression d’un matin blême sur les ravages d’une guérilla secrète où l’amour est en ruines. Noé n’est ni un provocateur ni un moraliste. Metteur en scène sensible et audacieux, il joue davantage sur les troubles réminiscents de chacun que sur un traumatisme complaisant. Reprocherait-on aujourd’hui à Pasolini d’avoir réalisé Salò ? L’accuserait-on d’en avoir fait une œuvre purement sensationnelle ? Pourquoi vanter la scène du viol dans Délivrance et décrier celle d’Irréversible en n’y voyant qu’un plaidoyer pour l’ignominie ?

Irréversible, moins choquant que Salò dans ce qu’il a "d’irregardable", est avant tout inconfortable et angoissant. C’est un trou noir démesuré, abrupt et antipathique. Noé parvient à maintenir, pendant plus de cinquante minutes, un malaise viscéral en flux tendu grâce à une mise en scène expressive (utilisation du plan-séquence) et une bande-son anxiogène. Quant aux scènes de l’extincteur et du viol, elles sont réellement dérangeantes par ce qu’elles font entendre, et moins dans ce qu’elles donnent à voir. C’est d’autant plus vrai quand elles sont regardées avec le son sans l’image : les cris et les râles, la collision des peaux, le heurt sourd du métal et les os broyés, tout cela est plus ingérable, plus perturbant qu’une vision sans bruit et sans fureur.

Le film de Noé, déchirant, a un goût âpre qui paralyse l’échine. C’est une plaie ouverte sur un saccage intime, la description terrifiante d’un mécanisme déréglé où tout s'est perdu. Où l’humain, en dernier ressort, se retranche derrière ses pires instincts. Ce sentiment d’une perte irrémédiable (de valeurs, de repères, de l’être aimé), d’un gâchis sans limite et d’un bonheur en morceaux, est accentué par la narration à l’inverse du temps : le final, venant après l’horreur, montre plus concrètement ce qui a été défait, ravagé en plusieurs heures. Ce n’est pas le temps qui détruit tout et, au regard du film, ce serait davantage le présent. Ce présent incontrôlable où tout peut basculer en quelques minutes, pour un geste, par une parole, pour une humeur. Le temps se prête à oublier ou pardonner, et le présent, dans son effet immédiat, est moins surmontable et plus destructeur.
mymp
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le 11 oct. 2012

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