Il faut le faire quand même, le faire pour parvenir à créer une angoisse latente en montrant le vide, tout au plus quelqu’un qui marche et qui s’approche, qui vient vers nous. C’est une vieille femme, ou peut-être est-ce une étudiante, un géant surgissant d’un couloir, une femme en sale état dans la cuisine, ou même un homme nu juché sur un toit… Belle réussite esthétique et théorique qui a fait son petit effet dans divers festivals, It follows peut se voir comme une variation sexuée des Griffes de la nuit (ce n’est plus "Tu rêves, tu crèves", mais "Tu niques, tu claques") et de Ring (enfer et damnation en chaîne, par transmission, avec apparition d’un ectoplasme belliqueux), variation qui aurait trop assimilé de l’univers carpenterien.

Soit une promesse de mort via un esprit hostile après avoir batifolé avec le porteur d’une sinistre malédiction. Jay se fait ainsi refiler le truc par un bellâtre qui la saute à l’arrière de sa voiture, et la voilà damnée à son tour. Seul moyen pour s’en débarrasser : coucher avec une autre personne pour lui repasser la saloperie (qui, elle-même, devra en faire autant) avant que la Faucheuse ne vienne vous occire. Cette sorte de fatalité intimement liée au sexe et à l’adolescence (la figure parentale est totalement absente du film) admet un sous-texte plus intéressant sur la peur de la première fois et l’abandon absolu que suppose l’acte érotique, son côté intimidant et symbolique, presque cryptique. Un saut dans l’inconnu.

Elle évoque aussi un puritanisme propre à cette Amérique rétrograde, davantage mal à l’aise sur la question de la sexualité que sur celle des armes et de la violence. David Robert Mitchell ne prône ni l’abstinence ni un odieux retour au rigorisme ni une éventuelle injonction morale, mais cherche au contraire à envisager l’acte comme une métaphore sur l’incertitude de l’existence (parvenir à repousser la mort en jouissant de chaque jour), le sexe étant tout aussi létal qu’il est salvateur. Un magma charnel et émotionnel qui provoque et qui vous suit ("L’amour physique est sans issue", chantait Gainsbourg). Qui hante, littéralement.

Ce danger invisible, omniprésent, qui s’avance et qui vient, permet une magnifique utilisation du panoramique et de la profondeur de champ d’où sourde, constamment, la menace sous la forme très simple d’une personne en mouvement. Quelques couacs (la scène de la piscine et sa justification, plutôt maladroites, pas mal de raccourcis, des facilités aussi…) sont vite pardonnés grâce à une mise en scène inspirée, une photographie enjôleuse et une musique électronique qui déchire (merci à Disasterpeace). Écrin de choix pour ce petit bijou paisiblement horrifique, troublant jusqu’à son terme non résolu, main dans la main et la mort toujours aux trousses.
mymp
7
Écrit par

Créée

le 16 févr. 2015

Critique lue 585 fois

13 j'aime

2 commentaires

mymp

Écrit par

Critique lue 585 fois

13
2

D'autres avis sur It Follows

It Follows
Kogepan
8

Miii ._. (ou : les aventures d'une souris devant un film d'horreur)

Je ne regarde pas beaucoup de films d'horreur. J'ai les bases, j'aime bien occasionnellement me poser devant un bon gros film terrifiant avec une bière, un coussin (très important, le coussin) et mon...

le 11 févr. 2015

137 j'aime

9

It Follows
Sergent_Pepper
7

Suivre et survivre

C’est sur un éblouissement propre à séduire le cinéphile peu connaisseur du genre que s’ouvre It Follows : une superbe leçon de mise en scène. Le plan séquence initial, tout en lenteur circulaire,...

le 15 juin 2015

120 j'aime

11

It Follows
Velvetman
8

Only monster forgives

Où sommes-nous ? Ce bruit assourdissant, dissonant, qui nous parvient à la vue de ce quartier pavillonnaire tout droit sorti de Blue Velvet ou Donnie Darko. Une jeune adolescente peu vêtue sort de...

le 5 févr. 2015

117 j'aime

8

Du même critique

Moonlight
mymp
8

Va, vis et deviens

Au clair de lune, les garçons noirs paraissent bleu, et dans les nuits orange aussi, quand ils marchent ou quand ils s’embrassent. C’est de là que vient, de là que bat le cœur de Moonlight, dans le...

Par

le 18 janv. 2017

182 j'aime

3

Gravity
mymp
4

En quête d'(h)auteur

Un jour c’est promis, j’arrêterai de me faire avoir par ces films ultra attendus qui vous promettent du rêve pour finalement vous ramener plus bas que terre. Il ne s’agit pas ici de nier ou de...

Par

le 19 oct. 2013

180 j'aime

43

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

162 j'aime

25