Avec ce coin perdu d'Arizona où l'espérance d'un avenir meilleur est une idée obsolète dès la naissance, "Katie Says Goodbye" dessine un cadre bien connu des standards du cinéma indépendant américain. Le désert, des mobil-homes où une misère humaine stagne, laissée sur le bord de la route d'un monde extérieur qui avance sans elle, des habitants conscients qu'ils ont loupé le coche à un moment ou à un autre de leurs existences et dont la moralité s'adapte à leur façon de tromper un ennui permanent, un restaurant intemporel et seule grande activité de la bourgade en mouvement avec sa clientèle nomade de chauffeurs de poids-lourds... Vu le décor habituel de ce premier film de Wayne Roberts, on serait presque tenté de dire que l'on connaît déjà tous les contours de son héroïne avant de la découvrir : une serveuse rêvant forcément de s'échapper de cette prison à ciel ouvert pour des horizons meilleurs.
C'est bel et bien le cas mais rien ne nous avait préparé à la lumière émanant de Katie (Olivia Cooke), à cette espèce d'optimisme inaltérable qui, contre toute attente, est parvenue à survivre pendant des années malgré le pessimisme de ce cadre. Attention, le personnage n'est ni stupide ou naïf, non, Katie s'est simplement construit son propre système de croyances où la pureté de ses émotions est égale à sa détermination pour rejoindre un jour la destination de ses rêves, San Francisco.
En attendant ce moment, Katie se laisse guider par cette espérance en mettant tout en oeuvre afin qu'elle se concrétise au plus vite et en faisant des ombres qui l'entourent une force pour y parvenir. Le père qu'elle n'a jamais connu est ainsi devenu une présence invisible bienveillante auquel Katie s'adresse chaque soir avant de dormir. Sa mère (Mireille Enos) est une épave qui n'hésite pas à dépenser l'argent de sa fille avec ses nombreux amants mais ce n'est pas un problème, pour payer leur loyer, Katie travaillera le double... ou se prostituera.
Car, oui, aussi étonnant que cela puisse paraître vu la description du personnage, Katie entretient des rapports tarifés avec une grande partie de la population masculine du coin. Pourtant, cela s'inscrit parfaitement dans sa logique, elle ne voit absolument aucun mal à s'adonner à cette activité (le film nous fait ressentir assez bien la considération très banale que Katie a autour de cela malgré nos a priori forcément contraires) puisque c'est un des moyens qui lui permettra de quitter cette petite ville sans avenir. Elle a grandi avec une mère qui en faisait autant et a donc assimilé le fait d'utiliser son corps contre de l'argent comme un acte anodin pour augmenter rapidement le montant de ses économies. Seulement, cette manière d'agir est un venin hérité d'une mère qui ne s'est jamais considérée comme telle et ses effets d'abord latents vont prendre une ampleur dévastatrice lorsque les yeux amoureux de Katie vont croiser la route d'un repris de justice mutique (Christopher Abbott).


"Katie Says Goodbye" va alors précipiter son héroïne dans des ténèbres dont personne ne pourrait sortir indemne. Cet amour qui aurait dû être une nouvelle force pour l'accompagner vers la réalisation de son rêve va en fait devenir le catalyseur de tous les dégâts que son comportement insouciant a provoqué depuis des années. Le personnage aura beau tenter de stopper l'engrenage dont elle se retrouve prisonnière en essayant de mettre un terme à ses activités de prostitution, rien ne parviendra à stopper sa terrible chute où toutes les ombres qu'elle ignorait volontairement jusqu'alors vont reprendre leurs droits pour la détruire. Quelques piliers résisteront face à cette lame de fond comme ces figures parentales de substitution incarnées par une serveuse plus âgée (Mary Steenburgen) et un habitué de sa "clientèle" (Jim Belushi) mais, au final, ces rares remparts auxquels Katie tentera de se raccrocher ne pourront rien ou si peu face aux abysses auxquels la jeune fille paraît désormais destinée.


Alors que les plus terribles épreuves s'accumuleront sur les épaules de la petite serveuse jusqu'à nous laisser imaginer une fin de parcours d'une noirceur sans nom, "Katie Says Goodbye" nous prendra complètement à revers sur le terrain de l'émotion en allant puiser une nouvelle fois dans la volonté de son personnage dont on n'avait en réalité à peine mesurer l'étendue. Pendant que l'on peinera à se relever de tout ce que Katie a subi, l'héroïne, elle, nous aura précédé et nous irradiera une dernière fois de toute sa lumière, de cette force que tous ont essayé de mettre à terre sans y parvenir. Ce qu'on avait pris comme une simple flamme chez le personnage était en réalité un buisson ardent dont la puissance atteindra des sommets avec ce fameux "goodbye" tant espéré de Katie...


Évidemment, "Katie Says Goodbye" doit beaucoup à la prestation exceptionnelle d'Olivia Cooke dont la caméra de Wayne Robets nourrit le film grâce la subtilité et la sensibilité de son jeu souvent en gros plans. À l'instar de son personnage, l'actrice brille, constamment, avec ce fabuleux portrait de femme, écrin parfait pour renforcer ce sentiment d'une comédienne qui cesse de monter en puissance dans une filmographie éclectique. Mais, la réussite de "Katie Says Goodbye" est aussi à mettre au crédit de la justesse de la vision d'ensemble de Wayne Roberts. Pour son premier long-métrage, le cinéaste évite astucieusement tous les directions attendues vers lequel ce sujet très connoté "indé US" le prédestinait. Non seulement, "Katie Says Goodbye" nous attache et nous surprend par le caractère si particulier de son héroïne mais le film parvient à creuser un minimum tous les personnages gravitant autour au lieu d'en faire les leviers habituels sur la route d'émancipation de la jeune femme. Ainsi, Mireille Enos aura l'occasion de montrer les failles de cette mère consciente de ses manques mais auxquels elle ne peut remédier, Christopher Abbott de traduire toute la détresse de son personnage ayant cru trop vite à l'innocence de ce nouvel amour comme possible rédemption ou encore Jim Belushi de construire en quelques regards un rôle pas facile oscillant entre une tendresse véhiculée par de réels sentiments et son statut pas vraiment enviable d'habitué des faveurs sexuels de Katie...


Bref, "Katie Says Goodbye" est sans doute ce que le cinéma indépendant US peut nous proposer de meilleur lorsque celui-ci s'empare de ses ingrédients les plus classiques pour chercher à leur donner un traitement inédit et non pas de les répéter à l'infini dans une formule connue de tous. Si l'intelligence de cette approche s'ajoute au réel investissement de son auteur pour ses personnages et à des comédiens conscients qu'on leur offre là des rôles en or, on obtient une pépite comme on en croise trop rarement. Au revoir, Katie, et merci.

RedArrow
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le 17 déc. 2018

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