À qui s'adresse vraiment ce film ?
Peut-être pas, paradoxalement, aux fans hardcore de Kurt Cobain, qui connaissent déjà chaque détail de sa vie sur le bout des doigts. Montage of Heck fait en effet le choix d'inclure de nombreux extraits déjà connus de la vie de Kurt (extraits d'interviews, lives, journal intime) que certains pourront considérer comme de la redite mais qui sont pourtant essentiels au projet du film.
Parallèlement, les amateurs de cinéma se déplaceront difficilement si la musique de Nirvana ne les intéresse pas, d'autant plus que le film a été très peu distribué. On ne pourra pas vraiment les blâmer, le film n'étant à première vue qu'une création incomplète, simple collage de sons et d'images. On est bien loin d'une réalisation traditionnelle même si on s'approche parfois du film d'animation avec des séquences mettant en image les enregistrements audio de Kurt Cobain.
Et pourtant, au fur et à mesure que le film déroule la vie d'un homme sous nos yeux, quelque chose de plus grand se met en place. Une tragédie en cinq actes transposée dans une famille moyenne de la bourgade d'Aberdeen, Washington, USA. Un drame centré sur un personnage en quête d'amour, un enfant ordinaire à l'adolescence extraordinaire.
À partir d'ici, soyez prévenus :
- Je surinterprète allègrement
- Je spoile non moins allègrement, mais bon c'est la vie de Kurt Cobain, vous devez connaître la fin.
Le premier acte correspond à l’exposition de la situation des
personnages.
Les trente premières minutes du film retracent l'enfance de Kurt Cobain. Alors que certains ont pu trouver ces séquences inutiles, elles sont pourtant essentielles à la structure du film. On y voit un bambin épanoui, aimé de ces parents et de son entourage, touchant avec sa mini-guitare et son masque de Batman. Ces images feront figure de paradis perdu dans la descente aux enfers qui va suivre.
Le deuxième voit apparaître l’élément perturbateur.
Puis arrive l'adolescence. Kurt, intenable, se voit rejeté par tous ceux qui l'accueillent : mère, père, grands-parents, oncles et tantes. De même à l'école où il est la risée de ses camarades. Il se réfugie en conséquence dans la guitare et la marijuana. C'est là qu'apparaît ce que soulignent tous les témoignages et va le suivre toute sa vie : Kurt Cobain cherche avidement l'amour et la reconnaissance mais ne l'assume pas, et agit de façon contraire.
Dans le troisième acte, les protagonistes cherchent une solution au
drame, tout paraît encore possible
La solution, elle arrive et se pose comme une évidence : la musique, au début simple exutoire de la haine de Kurt Cobain envers lui-même et le reste du monde, apporte le succès. Bien qu'il s'en défende, ce succès compte énormément pour Kurt, tout comme les retours de ses premiers fans et critiques. Il y trouve la reconnaissance qu'il cherchait. C'est à cette période qu'il trouve aussi l'amour avec Courtney Love et rêve de fonder un foyer.
Dans le quatrième acte, l’action se noue définitivement, chez Racine du moins, les personnages n’ont plus aucune chance d’échapper à leur destin
Cette partie est sûrement la plus glauque du film. On y voit Kurt et Courtney dans une déchéance totale, enfermés dans leur appartement et drogués à l'héroïne. Si on croyait que la naissance de Frances devait apporter un peu plus de légèreté, on est vite déçu, l'environnement dans lequel la fille grandit restant presque aussi glauque que les scènes précédentes.
Au cinquième acte, l’action se dénoue enfin, entraînant la mort d’un ou de plusieurs personnages.
Je vous sens encore dubitatifs. Ce que je décris, c'est certes une vie tragique, mais de là à comparer avec une pièce de Racine faudrait voir à pas trop se foutre de la gueule du monde, hein, ho.
Et pourtant je vais aller plus loin : ce film est quasiment une tragédie autobiographique ; écrite (à travers le journal intime), racontée (à travers les enregistrements sonores, le Montage of Heck original, les répondeurs), dessinée (le journal intime toujours), filmée (pour partie), mise en musique (la bande-son est intégralement constituée de morceaux de Nirvana) par l'homme qui l'a vécue.
Il ne faut pas pour autant minimiser le travail de Brett Morgen, qui a su rassembler et assembler tous les éléments de ce puzzle dans ce qu'on imagine un travail extrêmement patient et méticuleux. Le choix est assumé de passer vite sur les aspects purement musicaux et sur la fin pour se focaliser sur le sujet choisi, la vie de Kurt Cobain.
Mais Montage of Heck porte bien son nom puisqu'il propose un montage véritablement excellent, le rythme et l'alchimie son/image étant assez stupéfiants. La musique de Nirvana, de base très chargée en émotion et ici admirablement mixée, s'y prête à merveille et magnifie quelques moments d'une rare intensité, comme l'ascension éclair du groupe à la sortie de Nevermind sur fond de Breed ; Sappy dont les paroles font écho à la fois à l'enfance de Kurt et à celle qu'il voudrait pour sa fille, ou encore Where did you Sleep Last Night au Unplugged qui ne m'a jamais autant touché qu'à travers ce film.
Je conseille au final ce documentaire à quiconque s'intéresse un minimum à Nirvana, même à ceux comme moi que le mythe qu'est devenu Kurt Cobain intéresse assez peu. Vous n'y verrez peut-être pas autant de grandes choses que moi, mais ce sera bien le diable si vous n'êtes pas un minimum touché par cet être humain au destin brisé, et porté par cette musique si forte.
La critique de Lucie L. : If we get popular or not, it doesn't matter... The music is more important