Désolé Kurt, ils ne savent pas ce qu'ils font.

En fan absolu, j'avais forcément hâte de voir Cobain, The montage of heck, décrit comme le "plus intime et innovant documentaire jamais réalisé sur le chanteur". J'avais aussi cette appréhension, celle de savoir ce qu'allait m'apprendre cet énième focus sur l'une de mes idoles, tout en essayant de garder une certaine objectivité. L'idée est de ne pas vénérer, d'emblée ou a posteriori, le reportage juste par admiration du chanteur et guitariste de Nirvana.


D'abord, ma première remarque pointe la longueur du film: les deux heures douze minutes ne tiennent pas en haleine du début à la fin comme il devrait le faire à l'aune du culte de la star qui perdure vingt-et-un ans après sa disparition. La première demie-heure sur son enfance paraît interminable en comparaison à la dizaine de minutes suivantes qui résument, ou bâclent, les débuts de Fecal Matter puis Nirvana. La concision, généralement l'atout d'un bon documentaire, a été oubliée en route: Brett Morgen, à vouloir trop en mettre, n'a pas fait preuve d'un choix intelligent et efficace dans le contenu des supports à sa disposition. Les images des lives n'apportent rien puisque déjà vues des dizaines ou des centaines de fois pour les fans - même chose pour les interviews du groupe déjà présentes dans les DVD et précédents reportages.


Deuxième remarque, le documentaire censé le démystifier, le mystifie d'autant plus en animant ses sombres dessins, en enchaînant les archives à coups de montages tantôt intéressants (le cahier avec les ratures pour le choix du nom du groupe, les gribouillages des paroles, notamment lithium ou Floyd the barber) tantôt futiles: un dessin animé superficiel met en scène Kurt jouant de la guitare dans sa chambre d'adolescent et l'on nous force ici à entrer dans un imaginaire imposé. Les montages se succèdent avec l'impression qu'il n'y a pas de recul: certes le travail de recherche d'archives est à noter, mais leur utilisation eu égard à la liaison des séquences semble passable.


Ma troisième remarque est relative au viol de l'intimité du couple Cobain/Love pas forcément nécessaire dans l'exploration des pensées et inspirations de Kurt. Certaines images m'ont quelque peu gêné et poursuivent, sans le vouloir, le harcèlement déjà entrepris par les médias à l'époque. Etudier et comprendre son mal-être est une chose, mais montrer le couple à nu et défoncé dans la salle de bain en est une autre. Nous savions tous que ce génie fût un junkie accro à l’héroïne, pas besoin d'en rajouter.


Les aspects pertinents qui ajoutent du crédit au long-métrage sont finalement les interviews des proches de Kurt, mais trop peu nombreuses, trop conventionnelles et ordinaires en somme: on aurait aimé entendre Krist ou Courtney parler d’anecdotes étonnantes ou avoir leur point de vue sur des points plus précis, ou entendre Dave Grohl tout court. C'est d'ailleurs son ex-femme qui semble la plus détachée et captivante dans ses interventions.


Concernant la forme, le tout reste esthétiquement assez réussi. On aurait cependant aimé que soit établi des parallèles entre l'histoire et l'évolution du groupe et cette introspection au sein de l'esprit du leader de Nirvana. Au lieu de ça, on finit par nous montrer des classiques: d'abord le concert Live and Loud In Utero Tour du 13 décembre 1993 puis le mythique Unplugged in New York du 18 novembre 1993.


Overdose à Rome en mars 1994, puis suicide un mois plus tard, clap de fin, l'une des plus grandes rock-star de tous les temps s'en est allé. Ce qu'il faut retenir en définitive, c'est que Kurt, comme il le disait nonchalamment, a essayé toute sa vie de faire éclore les fleurs qu'il avait dans la tête. Les fans inconditionnels n'auront pas besoin de ce Montage of Heck manquant de sobriété, et privilégiant un travail de forme au détriment du fond, pour perpétuer "ce qui importe vraiment: La Musique" [K.C].

Palatina
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le 4 juin 2015

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Palatina

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