On dit qu’aimer, c’est la moitié de croire. « Aimer Dieu » et « croire en Dieu » restent néanmoins deux pans fort distincts, fort distants. Ils se révèlent d’abord être un choix en âme et conscience d’une opiniâtreté des plus exigeante et ardue, et ensuite une attente, une conviction indécise et tumultueuse. Preuve en est, l’itinéraire théologique des deux prêtres jésuites : Sebastiao Rodrigues (Andrew Garfield), et plus évasivement Francisco Garupe (Adam Driver), dans un Japon féodal du XVIIe siècle. Le thème de la spiritualité préoccupe Scorsese depuis toujours, tout au moins depuis le jour où Marty suivit un séminaire d’une année avec le fervent souhait de devenir prêtre. Il renonça.
Cinq décennies et une filmographie considérable entre-temps ne l’ont pas détourné de sa quête spirituelle et ses interrogations démiurgiques allant de pair.
Les deux prêtres, partis à la recherche du Padre Ferreira (Liam Neeson), ne peuvent admettre que ce dernier a apostasié, renié sa foi de façon volontaire et publique. Dans cette recherche se dresse un récit initiatique, ou contre-initiatique selon la perception de chacun, de ces deux prêtres, rencontrant une population locale croyante, tout du moins croyant en quelque chose qui semble s’apparenter à la chrétienté, sous la forme œcuménique du terme et de sa portée. Padre Rodrigues et Padre Garupe prêchent secrètement et clandestinement dans ces villages reculés du bout du monde. Jusqu’au jour où l’homme, que l’on nomme là-bas « l’Inquisiteur », vétéran de la lutte contre une religion incompatible avec les mœurs nippones, démasque l’entreprise théologique et condamne-à-mort trois villageois refusant l’apostasie. Le guide de départ, Kichijiro, lui, abjurera, préférant vivre en damné. Trahir plutôt que mourir, vivre au lieu de croire, douter plutôt. Ce renégat tout en contradictions résume à lui seul l’œuvre : il incarne cette diagonale de questionnements spirituels, cet électron d’incertitude, un intermédiaire entre l’Adhésion et le Rejet, les choses de l’ordre de la métaphysique et celles matérielles, osons le dire entre la Croyance et l’illusion de la Croyance. Le premier bloc de Silence se voit emporté par les vagues et écumes, sublimé par le chant de Mokichi lors d’un autodafé de martyr après lequel, dans son sillage, une intrigue bien plus linéaire, opaque et austère s’installera. Le chemin de croix du Padre Rodrigues s’inscrit alors au sein d’une introspection spirituelle et psychologique mise à l’épreuve par l’Inquisiteur. S’en suivent souffrances et dévotion, cruautés et piété, défi et religion, composant une deuxième partie longue et hermétique. L’écriture patauge alors dans un marécage où les racines ne poussent pas. Face au prêtre se dresse une montagne impassible, immuable, celle d’une contrée enorgueillie de sa tradition shintoïste (shinto : la Voie des dieux). Cet ensemble de croyances et de superstitions liées à la nature, où chaque élément correspond à une divinité/un esprit, sera tardivement expliqué par le Padre Ferreira à Sebastiao. In fine, nul ne détient une Vérité souveraine et absolue. Il fallait certes, pour un sujet si pondéreux, épandre du temps et de l’espace, répandre la matière et la manière pour Scorsese, mais le rendu global demeure inégal, comme insensible.
Le réalisateur de La Dernière Tentation du Christ délivre malgré cela une œuvre esthétiquement belle, en proposant des plans, une photographie et une bande-son travaillés, qui dessinent un monde dans lequel les angoisses des hommes apparaissent éphémères, dignes d’attention et de compassion, mais presque imperceptibles au regard de ce cosmos, trop vaste et pesant pour le faire tenir dans les limites d’un écran. La trajectoire du Padre Rodrigues peut être celle de tout-un-chacun : la spiritualité d’un homme s’inscrit dans un processus chancelant et complexe, elle avance, telle cette barque dans les brumes océanes et célestes, vers une destination indiscernable, immaculée et éternelle.