Un long plan d'un croisement de deux rues, au fond une maison. Tout est statique ou presque, quasi-figé. Nous nous attendons à ce qu'il s'y passe quelque chose. Une femme sort de la maison. Un cycliste traverse le champ. Finalement rien. L'image s’accélère et des voix s'interrogent. Ce n'est que le visionnage d'une cassette que Georges (Daniel Auteuil) et Anne (Juliette Binoche) commentent.
Ce dernier est journaliste littéraire pour la télévision. Il reçoit des vidéo anonymes, filmées depuis la rue, plans fixes et étrangement neutres de la façade de son pavillon, ainsi que d’inquiétants dessins. A mesure que le contenu des cassettes se fait plus intime, cette irruption oppressante fissure inévitablement la vie rangée du couple et de leur fils. Georges se lance alors à la recherche de l’auteur de ces mystérieuses cassettes. Peu à peu, une histoire d’enfance remonte à la surface, événement refoulé d’octobre 1961 dont il n’avait jamais parlé à sa femme : âgé de six ans, il avait empêché ses parents d’adopter Majid, fils d’ouvriers algériens disparus. Ce clin d’œil concernant le traitement des immigrés algériens par la France au début des années 1960, et la question de la responsabilité de chacun, se pose en filigrane. De la même manière, il est aussi question de la culpabilité de Georges quant au sort de Majid, fil conducteur du malaise. Georges parvient à localiser sur une nouvelle vidéo la porte d’un appartement de banlieue : le locataire n’est autre que Majid.
La présente critique n'a pas pour objectif d'expliquer exhaustivement les détails placés par le malicieux réalisateur autrichien, retenons ici que Haneke nous propose avec Caché une oeuvre bien plus subtile qu'elle n'y parait de prime abord. L’essentiel réside en ce que les images vidéo ne sont signifiantes qu’en tant qu’elles sont investies par Georges de ses propres angoisses, remords et souvenirs de son enfance, le tout dressant les contours d'une imagerie de la conscience de Georges. Le spectateur suit la même logique que Georges en ne cessant d’interpréter, de mettre les images en relation, de construire sa propre fiction.
Trompe-l’œil magistral sur le rapport aux images, l'impression ressentie est celle d'un œil invisible observant le quotidien de Georges. Son dialogue avec le fils de Majid, puis la scène où il apparaît une dernière fois, dans laquelle il se cloître dans le noir pour se reposer, nous montrent en réalité que le harcèlement dont il semble victime trouve sa racine (du moins en partie) dans son esprit. L'enquête menée s'avère aussi bien être une recherche de l'auteur des vidéos qu'une introspection de sa propre conscience. Cet œil invisible perçant l'intimité de Georges, c'est peut être le spectateur, qui le découvre à livre-ouvert, ou bien l’œil caché de Michael Haneke, désireux de remettre en cause toutes nos certitudes.