Attention spoiler…
Film intriguant voire très angoissant, Caché (le mot est prononcé 2 fois dans le film) n'épargne pas le spectateur (une vieille habitude chez le réalisateur autrichien), en prenant le soin d'entretenir le mystère jusqu'au bout. Le film nous laisse plein d'interrogations (et de frustrations) mais avec un peu de recul, il semble attendre du spectateur qu'il se fasse sa propre idée ou qu'il se serve lui aussi de sa télécommande (notamment le long plan de fin) pour recoller les morceaux, comme les malheureux protagonistes du film, victimes d'un mystérieux vidéaste qui sème le trouble dans ce cocon familial en apparence idéal et sans histoires et les pousse peu à peu à se détruire en remuant un passé lointain (caché, refoulé). Bien plus qu'un simple spectateur, il nous oblige à participer pour trouver des réponses, comme le couple magnifiquement incarné par Auteuil et Binoche. D'autant qu'Haneke multiplie les pistes : familiale, historique, dans un contexte ou les images et son pouvoir de suggestion est omniprésent ; qu'elles soit fixes (les cassettes) ou animées : Georges (Auteuil) est présentateur d'émission littéraire et forcément, un peu manipulateur d'images. Haneke s'attarde aussi sur le rapport fascination/attraction qu'exerce la télévision en choisissant le contexte de la guerre du golfe. Le thème n'est pas nouveau mais il contribue à accentuer notre rapport particulier à l'image : il filme notre indifférence, pire encore, notre capacité à nous habituer aux drames qui se jouent à distance sans que cela nous affecte lorsque l'on allume la télé par automatisme. Dénué de toute musique pour appuyer son propos (le réalisateur pense que cela n'apporte rien dans un film puisqu'il n'y a pas de musique dans la vraie vie), il s'applique à mettre en scène avec une précision chirurgicale un climat de tension extrême et dérangeant en multipliant les thèmes et les pistes sans jamais les citer de façon explicite : est-ce la culpabilité (individuelle et collective), la vengeance, le mensonge, la suspicion, la jalousie ?
Pour finir, Haneke laisse le soin au spectateur de se faire sa propre idée sur le degré de culpabilité de Georges enfant. Avec Benny's Vidéo, il montrait qu'une société pouvait engendrer des monstres dès le plus jeune âge et tel un visionnaire, il s'interrogeait déjà sur le pouvoir des images. Ici, il ne prend pas vraiment parti mais nous laisse le soin de nous interroger. Un enfant de 6 ans, qui commet un geste lourd de conséquence est-il responsable de ses actes ? Doit-il se sentir coupable et en souffrir toute sa vie ?
Quelle est la signification de telle ou telle scène ?
Si l'on s'accorde à considérer qu'Haneke n'est pas du genre à intégrer des scènes gratuites, certaines sont particulièrement troublantes :
1/ Madjid enfant apparait 2 fois comme embusqué dans la maison au début du film. Nous ne savons pas encore qui il est et il est trop tôt pour l'associer à un souvenir refoulé par Georges. Est-ce un simple cauchemar ou une volonté d'Haneke de brouiller les pistes ?
2/ En sortant du commissariat, Georges s'accroche verbalement avec un cycliste qui a failli le percuter. A quoi sert cette scène ? A montrer le changement d'humeur de Georges ? Le racisme semblent embusqué, insidieux. Haneke ne nous répond pas vraiment. Pourtant, il use (et abuse) - sans jamais le citer explicitement - de la culpabilité collective (images à l'appui… avec la répression meurtrière, par la police française, d'une manifestation d'Algériens en 1961 à Paris) ou individuelle (Georges et Madji). C'est certainement l'aspect le plus contestable dans la démarche d'Haneke, cette obsession moralisatrice.
3/ Lorsque la sonnette retentit alors qu'ils reçoivent des invités, Georges descend voir, ouvre la porte (fermée), sort et invective dans le vide l'individu mystère. En refermant la porte, celle-ci bute au sol sur un sac qui renferme une nouvelle cassette. A moins de s'être introduit à l'intérieur alors qu'il sortait (ce qui semble peu probable), il était impossible à l'inconnu d'agir ainsi. Pas d'explication non plus.
4/ Le suicide de Madjid. Si Madjid n'est pas l'auteur des VHS comme il le prétend, il fait venir Georges à son domicile pour lui parler mais son véritable but est qu'il assiste à son suicide (particulièrement violent et brutal). Nous ne savons pas vraiment pourquoi il commet ce geste (prémédité) qui pourrait nuire à Georges mais les raisons restent inconnues. Se sentant victime d'un traumatisme et tenant Georges responsable, Madjij cherche-t-il ainsi à le traumatiser à son tour et provoquer une culpabilité rédhibitoire ?
5/ Pierrot, l'enfant du couple, semble reprocher à sa mère d'entretenir une liaison avec son ami Philippe. Le doute est permis. Ce qui conforte l'idée qu'il est potentiellement impliqué et surveille ses parents. Si les dessins sont faits par un enfant, étant le seul enfant du film, il devient suspect à ce moment du film mais le doute subsiste encore.
6/ Le dernier plan, est celui que l'on fixe obstinément (comme le premier d'ailleurs, le générique), car on se persuade qu'il contient des informations. On peut voir à gauche du plan fixe, les deux fils ensemble se parler. On peut logiquement penser qu'ils se connaissent et qu'ils sont bien les auteurs de cette pesante menace. On y voit aussi un homme et une femme attendre de leur côté des enfants qui ne viendront jamais. Troublant jusqu'au bout, le vrai manipulateur reste Haneke lui-même.
Lien vers une analyse du film par Philippe Rouyer (Positif)
http://www.forumdesimages.fr/les-rencontres/toutes-les-rencontres/cache-de-michael-haneke