Le cinéma de Michael Haneke me consterne. Même quand ses films sont réussis - et Caché l'est indéniablement - j'ai cette désagréable impression de me trouver face à quelque chose de thématique, le prolongement d'un article de magazine, le lourd développement fictionnel d'un édito. C'est d'autant plus frappant dans Caché que le film démarre de la même façon que Lost Highway : une cassette vidéo témoigne d'une manifeste intrusion dans une famille aisée. Or les deux films ont deux trajectoires bien distinctes. Si Lynch fait vivre le mystère, Haneke le crève presque aussitôt - et même s'il le retient, cela n'est que scénaristique : le mystère reste en surface. Les images vidéo, dans Caché, sont l'expression d'une conscience (en l'occurrence, difficile de ne pas y voir celle de l'auteur, auscultant la société française avec un surplomb qui témoigne moins d'une acuité que d'un leurre, celui de l'artiste invité à travers le monde, et qui pense donc connaître celui-ci après avoir dîné dans des restaurants et séjourné dans des hôtels), quand, dans Lost Highway, elles sont l'inconscience même (mais ce serait sans doute réduire le cinéma de Lynch que de le cloisonner à cette comparaison). Le problème de Caché n'est pas le propos - comment ne pas approuver les rapports de force que le film met en jeu ? - mais je crois qu'il réside dans son procédé même. Le titre, par exemple, est mensonger : rien n'est caché, rien ne se dérobe à l'image, en vérité ce sont les mots qui manquent, les aveux qui ne viennent pas, et donc le titre du film ne devrait pas être Caché mais Tu... Mais si le film s'était appelé Tu, personne n'aurait voulu le faire. L'anémie du film vient de là : il ne peut y avoir aucune pensée, aucun mouvement cinématographique qui naisse de cette confusion, car une histoire n'est pas une image. Et entre l'histoire et la représentation de celle-ci, le chemin est long, mais Haneke ne le fait pas, pas avec le cinéma en tout cas, seulement avec les intentions. Donc Caché ne vaut guère plus que Festen (autre film où la parole se fait attendre pour qu'on oublie l'image), malgré son ambition politique lourdement déclarée. Cinéma de la conscience, qui peu à peu se mue en cinéma de la bonne conscience - voilà ce qui arrive à force d'occulter l'inconscient. D'ailleurs, quand les cinéastes se jetteront un peu moins de paillettes dans les yeux pour se faire croire que leurs films sont ce dont le monde a besoin, peut-être finiront-ils par voir la laideur absolue de leurs plans, de ces images qu'ils alignent sans grâce, sans élan, sans coeur. Ce n'est pas seulement l'inconscient qui manque, c'est le poème qui est totalement absent. Je ne crois pas qu'il y ait d'art sans l'ombre d'un poème.