Barry Jenkins sait construire des scènes (celle du restaurant, notamment, est assez singulière, déployant le temps dans l'espace via le désir et ses multiples incarnations, à savoir la nourriture, la parole et la musique) mais son film me laisse sur ma faim, à cause de ses ellipses un peu faciles (la mort de Juan, personnage passionnant, est esquivée ; et la transition de l'adolescence à l'âge adulte, si elle est spectaculaire, n'en semble pas moins factice, presque arbitraire), et de ses deux dernières images carrément grossières : une étreinte doloriste et un flash-back qui a tout l'air d'une publicité... La structure linéaire du récit n'aide pas, je crois, à donner de l'épaisseur aux figures que Barry Jenkins esquisse. Il y a comme une contradiction entre l'effet de construction produit par les trois parties imperméables les unes aux autres et l'esprit du film, qui est plutôt proche de la déconstruction (car il s'agit de traverser une image, or le récit nous y conduit mais ne la transperce pas autrement que par le souvenir que nous avons de son origine).
Moonlight m'a tout l'air d'une hybridation un peu maladroite entre un certain cinéma européen (Fassbinder et Bergman, en gros) et Hollywood (la caméra tourbillonnante de la première scène, qui ne raconte rien de spécial, mais qui est là simplement pour nous épater). Ce n'est pas un film insignifiant, loin de là, mais pas totalement pensé, et un peu trop gentil (finalement rien n'est grave, n'a-t-on de cesse de nous répéter) pour être aussi fort que les lugubres toiles d'Edward Hopper plusieurs fois convoquées.