L'Autre
7.1
L'Autre

Film de Robert Mulligan (1972)

Robert Mulligan est connu pour deux grands succès (Du silence et des ombres, Un été 42) et est malgré eux un cinéaste hollywoodien oublié. Son cinéma intimiste, réfléchi et nuancé, se situe loin des mondes de l'horreur ; L'Autre fait exception dans sa carrière, tirant le drame extatique et quelque peu hypnotique (un peu à la Bergman, le génie illuminé en moins) vers la fantaisie psychologique avec ingrédients gothiques et meurtriers, ainsi que des semblants de surnaturel. Le grand 'totem' de Mulligan (la perte d'innocence, l'arrivée devant une vérité dure et triste) est toujours là, le cadre (bucolique et révolu – années 1930) est conforme aux habitudes du cinéaste. Deux jumeaux de dix ans partagent l'écran, l'un d'entre eux apparaissant comme un individu maléfique. Ils vivent dans une ferme du Connecticut et seule la vieille Ada (une hystérique) a aperçu ''la vérité'' à leur sujet. Après une mort accidentelle dans la famille, des événements macabres s'enchaînent.


La séance est souvent vendue ou approchée comme relevant de l'épouvante traditionnelle : en s'y fiant le spectateur est sûr de faire du hors-piste et cette mésentente met à mal la lisibilité du caractère de cet Autre. S'il rejoint le genre horrifique, c'est par les tréfonds mentaux qu'il tutoie et les effets collatéraux de sa construction. De plus, Mulligan joue à tordre son intrigue avec majesté mais aussi une certaine fatuité (bien que cet enjeu soit secondaire et instrumental), le spectateur pouvant dès le départ anticiper les grandes lignes de l'histoire voire son dénouement (effet décuplé par des films fantastiques ultérieurs, tendant à 'spoiler' rétrospectivement cet Autre). Il sera moins sûr de son fonctionnement et de sa motivation. Car L'Autre est un essai sur le déni et le deuil, encouragés par un environnement bucolique et discrètement mystique. Sur ce point la grand-mère a le rôle pivot, par ses transmissions et son autorité ; de plus Niles développe la capacité de transférer son esprit dans un autre corps, par exemple en faisant d'un corbeau son hôte et volant à travers lui. Le style peut parfois évoquer le Don't Look Now de Nicolas Roeg (1971), aux effusions plus rares et surtout brutales.


Contrairement à Un été 42 où la photo avait un aspect granuleux et passéiste, ici elle est nette, lumineuse voire immaculée, fidèle à l'aspect cristallin presque aveuglant du monde de Niles. L'Autre donne une impression de pré-Blue Velvet, une version introspective dans un véhicule enfantin ; un venin profond se profile doucement dans un univers paisible, harmonieux, avec ses irrégularités inoffensives et ordinaires. L'escapade est 'déréalisante' parce que la réalité est saillante tout en taisant son nom, ses lois, ses évidences. L'ambiance du film est déterminée par une savante ''confusion'', qui ne semble pas en être une : elle est sensée et minutieusement restituée par la mise en scène. Mulligan joue peut-être avec des faux suspenses, mais il n'y a rien de gratuit dans son histoire, ni finalement au service des sensations triviales. Cette 'confusion' est cohérente mais insaisissable comme l'est un système résolument subjectif ; les clés données ne s'appliquent qu'à percer la surface, qui justement est déviée par l'esprit et les facultés de Niles, autrement dit mâchée à sa façon. Mulligan emploie à cette fin une dualité déclinée sous plusieurs facettes, prenant l'apparence de la schizophrénie, d'un cas de possession, d'éventuelles projections voire de fabrication officialisée par l'entourage.


On peut par exemple se demander si Holland est une entité sans existence propre, si ce mauvais jumeau refoulé par la famille et par l'enfant lui-même (du moins pour le public, auquel il cacherait une complicité secrète ou une attraction honteuse) est une abstraction ou une espèce de fantôme plus ou moins vivant. Mulligan laisse les possibilités ouvertes, mais la mise en scène montre un Niles en roue libre, détaché de sa famille. Le doute sur l'identité de Niles et la ''nature'' de sa présence participe donc à un mystère premier, sans grande surprise mais pas sans relief, mais aussi à la restitution d'une ambiance où ce même mystère a un rôle de catalyseur, apportant un ancrage 'autre' à la réalité et à sa propre humanité pour Niles. Mulligan cultive à jamais l’ambiguïté, que Tryon finissait pas estomper dans son roman. Adaptant ici son propre scénario, Tom Tryon verrait quelques années plus tard sa nouvelle Fedora (1976) portée à l'écran dans le film éponyme (1978) par Billy Wilder. Il entamait alors la dernière partie de sa carrière, puisqu'il était jusque-là connu en tant qu'acteur (Le cardinal de Preminger, Johnny s'en va-t-en guerre) activité qu'il délaisse au profit de l'écriture.


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Zogarok

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