Adapté d’un best-seller anglais de 1945, L’aventure de Mme Muir (1947) est l’un des films les plus connus de son temps. Cette comédie romantique lorgnant vers le conte forme un tandem improbable, composé d’une jeune veuve fantaisiste et du fantôme d’un ancien capitaine de la marine. Ils se rencontrent à la suite de l’emménagement de Lucy Muir dans une nouvelle maison, hantée selon l’agent immobilier, cette excentricité ayant largement attiré cette femme éprise d’indépendance. Leur relation est ambiguë : il est à la fois figure paternelle, complice, amant platonique. Ensemble ils vont écrire sa biographie.

C’est un exercice de charme, dont toute l’alchimie est tributaire de celle du couple. Le film doit donc l’essentiel à ces deux personnages espiègles et charmants. Chacun tient l’un des meilleurs rôles de sa carrière, Gene Tierney est parfaite en madame Bovary pro-active. Mais cette Aventure ne joue que sur un tout petit terrain, toujours plombée par son écriture tiède. Comme le programme est chaste et très innocent, ses sous-entendus plus adultes sont toujours étouffés ou lapidaires au mieux. Une certaine magie superficielle enrobe le film mais ne le travaille pas en profondeur : L’aventure se frotte au merveilleux et à des thématiques assez profondes sans être capable de les explorer.

L’effet est celui d’un conte pour adultes impuissant à s’assumer comme tel, restant donc dans la demi-mesure. Le ton en est affecté : le film affiche l’ironie et la distanciation tout en étant d’une sincérité absolue, très poli et précautionneux envers ses protagonistes. Il y a donc un sentiment de manque permanent, de surface aboutie dont l’essence la faisant tenir debout est caricaturée – mais avec délicatesse. Il manque finalement ce qui caractérisera bientôt le cinéma de Mankiewicz lorsqu’il sera l’auteur de ses propres scénario : une architecture complexe et une faculté à souligner l’intelligence du sujet tout en restant ludique (cela aboutira au Limier).

À cause de ce manque, L’aventure de Mme Muir s’enferme dans la comédie légère et la sagesse factice. Cela ne l’empêche pas de séduire mais ça nuit à sa force et donc à sa capacité à convaincre sur ce qu’il raconte. L’épilogue nostalgique et la notion de transmission refermant le film soulignent paradoxalement à quel point les auteurs se dérobent face aux thématiques charriées, tout en sachant en capter avec succès une petite musique. L’état d’esprit volatile de l’héroïne les contamine manifestement, d’ailleurs des pans entiers, très conséquents, sont ignorés : la fille de Lucy zappée pendant l’ensemble de la séance. Enfin le film est très joli d’un point de vue plastique, il sera d’ailleurs nominé aux Oscars de la meilleure photographie en noir et blanc.

http://zogarok.wordpress.com/

Créée

le 28 déc. 2014

Critique lue 466 fois

6 j'aime

1 commentaire

Zogarok

Écrit par

Critique lue 466 fois

6
1

D'autres avis sur L'Aventure de Mme Muir

L'Aventure de Mme Muir
Aurea
10

Croire à ses rêves c'est les faire exister

Comment ne pas se demander après avoir vu le merveilleux film de Mankiewicz : l'Aventure de Mme Muir, si le rêve n'est pas plus vrai que la réalité? Croire à ses rêves, n'est-ce pas les faire...

le 25 juil. 2011

160 j'aime

69

L'Aventure de Mme Muir
Libellool
10

Les brumes de l'amour

Avec ce film, Joseph L. Mankiewicz signe l'une des plus belles et originales romances de l'histoire du cinéma. Cela en offrant à son héroïne l'opportunité de tomber sous le charme d'un ancien marin...

le 11 janv. 2014

69 j'aime

26

L'Aventure de Mme Muir
EvyNadler
10

« Il n'y a pas d'autre mort que l'absence d'amour. »

Elle est veuve, désemparée et surtout désenchantée. Lui est marin, cynique et surtout mort depuis quatre ans. Elle habite chez lui, et va apprendre à se découvrir en le découvrant. Elle ne sera...

le 17 juin 2014

55 j'aime

10

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

51 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2