« Il n'y a pas d'autre mort que l'absence d'amour. »
Elle est veuve, désemparée et surtout désenchantée. Lui est marin, cynique et surtout mort depuis quatre ans. Elle habite chez lui, et va apprendre à se découvrir en le découvrant. Elle ne sera jamais aussi heureuse que pendant ces instants, suspendus et éphémères, avec le réel élu de son cœur qu'elle ne pourra jamais toucher ni montrer au monde entier. Cet amour lui appartient, cet amour qui va naître dans un contraste profond.
Les jeux de lumière jouent sans cesse sur l'ombre et le double-sens, symbolique d'une femme tiraillée par deux mondes qu'elle ne semble qu'effleurer pour chacun d'eux. Il est en noir et mort, elle est en blanc et bien vivante, ils se cherchent et se dévorent tous les deux dans des joutes délicieuses et jamais surfaites. Elle, magnifique mais si seule, cherchera durant toute sa vie ce même amour irréel mais pourtant si concret qu'elle a connu avec son fantôme, le sien comme elle le sous-entend à sa fille. Dans un esprit féministe toujours très élégant, elle observe avec admiration puis déception que les hommes qui donnent tout ne sont pas fiables et que son seul amour sera celui qu'elle retrouvera quand elle n'aura plus rien, ni avenir ni insouciance. Ces deux êtres que tout oppose, du langage jusqu'à la raison d'être, sont transcendants.
L'oeuvre touche à la quintessence même de l'émotion, celle qui donne à une histoire une splendeur qui dépasse complètement le cadre du cinéma. Cette histoire, c'est la leur et c'est aussi la nôtre, la mienne, qui vient éveiller avec délicatesse et sans obligation ni morale tous mes sens. Je suis tantôt admiratif de son charisme à lui, tantôt amoureux de sa sensibilité à elle. Gene Tierney, Rex Harrison, exceptionnels.
La scène de fin est magistrale, tout comme ce film qui ne porte dans ses traits ni âge, ni faiblesse. Je n'ai qu'un regret, ne pas l'avoir connu plus tôt, car il m'aurait ouvert des portes que je ne découvre que maintenant. L'Aventure de Mme Muir représente en tout point ce pourquoi le cinéma m'est indispensable : il m'envoûte.
Après quelques mois de découvertes, je pourrais faire le parallèle avec Lettre d'une inconnue, sorti à peu près à la même époque et tout aussi magnifique. Les deux sont des modèles dans la représentation de l'amour au cinéma dans un registre toutefois un peu différent.