La structure même de L’Empire contre-attaque nous dévoile ses hautes ambitions : alors que la grande scène d’action clôturait l’épisode précédent, elle ouvre quasiment celui-ci, substituant à la noirceur stellaire la clarté neigeuse et de nouveaux engins aux enjeux nouveaux. L’inventivité est toujours de mise, le plaisir enfantin intact. Mais la tournure inattendue du récit, vers l’épure et l’initiation philosophique, vers la découverte des pairs et du père, va progressivement déplacer le film pour lui donner le statut central et fondamental qu’il occupe aujourd’hui dans toute la saga.
Si l’on observe avec attention, tous les personnages sont désormais en exil, cachés, séparés, et à l’écart de ce qui semble être primordial, à savoir un combat frontal avec l’Empire. Alors que Luke s’enfonce dans les bois fondateurs, Solo et sa clique ne cessent de caler avec le Millenium Falcon : l’hyperpropulsion promise par l’épisode IV n’advient pas.
C’est là ce qui fait toute la grandeur de cet opus, en effet de loin le meilleur ; sur les ruines de ce qu’on présentait comme un souvenir, on établit une renaissance laborieuse. Le rite initiatique de Luke prend son temps, et l’obscurité dans laquelle il se trouve n’est pas équilibrée par les gouffres que traversent ses compagnons, ni, bien entendu, de celle de la camera obscura qui abrite les cogitations de plus en plus torturées de Dark Vador.
Yoda, vieux maitre japonais qui tisse de nouveaux liens avec les influences multiples de Lucas, n’a de cesse de le dire : l’important n’est pas tant d’avoir la Force que de la maitriser, c’est-à-dire la connaitre. Outre les liens évidents avec le texte fondateur de Perceval et du Graal, les parallèles à tisser entre cette maitrise et la gestion du blockbuster sont nombreux. Le côté obscur est présenté comme la voie de la facilité, de la rapidité et de l’impulsivité : autant de voies que cet épisode refuse d’emprunter, soucieux d’épaissir ses personnages et ses enjeux. On remarquera d’ailleurs que la relance de l’action, à savoir le départ anticipé de Luke, permet certes de réactiver le scénario pour un combat d’envergure (mais qui garde une proportion particulièrement intime), mais qui marque surtout son erreur et son immaturité : il tombe dans un piège et y perd la main.
Le film n’est pas pour autant moins ambitieux dans son esthétique. Si la bataille initiale et la poursuite à travers une pluie d’astéroïdes semblent avoir épuisé la dimension épique du film, la convergence vers la rencontre cathartique entre le père le fils se fait au travers d’une grande séquence de cinéma. Les décors sont somptueux, alliance de circularité et de profondeur, abysses architecturales en écho à celles des enjeux psychologiques, la picturalité du combat en ombres chinoises sur lequel tranchent les sabres, les tentatives du père de rallier à sa cause l’apprenti fils et jedi… tout fonctionne.
Moins éclectique, plus cérébral, l’Empire contre-attaque est doté d’un charme puissant, qui va permettre au mythe Jedi de réellement prendre son envol : une philosophie zen, une psychologie qui va faire de la relation filiale le terrain d’un choix fondamental entre le bien et le mal.
Tout semble dit, et la suite de la saga va pouvoir faire avec, mais malheureusement sans aller plus loin. L’Episode VI sera la conclusion légitimement attendue, privilégiant la chanson de geste. La prélogie, elle, tentera laborieusement d’expliquer les choix d’un père dont le mutisme est ici autrement riche de signification.
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