L’étrangleur de Boston sort la même année que L’Affaire Thomas Crown et partage avec lui un goût pour l’expérimentation formelle grâce à l’usage du split-screen. Les films sont particulièrement intéressants à comparer dans la mesure où les usages de cette technique n’occasionnent pas le même propos.
Chez Richard Fleischer, qui réutilisera cette approche dans Soleil Vert en 1973, il s’agit avant tout de donner à voir la propagation de la paranoïa d’une ville sous la coupe d’un serial killer. Toute la première partie du film se contente d’aligner les meurtres sans que l’enquête ne progresse : le champ est laissé libre au tueur et les différents plans à ses victimes, avant que les médias ne s’emparent de l’affaire. L’omniscience du split-screen est ici particulièrement bien exploitée : elle montre simultanément deux points de vue sur une même scène (le tueur en caméra subjective à la sonnette, sa victime lui répondant, les caméras de la presse filmant un interviewé et celui-ci qui leur fait face, l’état d’une victime et l’effroi de celui qui la découvre, etc.), ou la multiplication des images de panique dans différents foyers.
Alors que la dimension collective dicte tout le formalisme de la première moitié du récit, la seconde change la donne. Il s’agit dès lors d’un face à face entre Henry Fonda, le procureur face à l’excellent et inédit Tony Curtis dans le rôle du tueur. À rebours de la vindicte populaire jusqu’alors légitimement exprimée, les entretiens mettent au jour la schizophrénie d’un homme qui ignore sa part criminelle et perverse. Les expérimentations formelles prennent donc un nouvel angle, celui de l’exploration d’une psyché fragmentaire, et de la quête d’une prise de conscience lucide. Flashs, jeu sur les temporalités, cohabitation du présent de l’entretien et du passé revécu miment avec conviction les tourments d’un homme malade.
Cette adéquation constante entre un formalisme qui peut souvent s’avérer vain et un véritable parti pris d'écriture parcourt donc harmonieusement les deux pans du récit. Et lorsque l’aveu est enfin formulé, c’est par un plan frontal, dénué de toute afféterie, qui précède un carton final en faveur de la reconnaissance de l’aliénation mentale. Cette conclusion amenée progressivement, ce glissement du collectif au particulier, du sensationnalisme au questionnement de fond est la grande réussite du film, qui avec le Zodiac de Fincher ou M. le maudit s’inscrit comme un chapitre important de l’exploration de l’univers mental et carcéral des tueurs en série.