A l'origine de ce film, un fait divers : à Boston entre 1962 et 1964, 11 femmes ont été étranglées dans leur appartement, avec des bas nylon ou autres parties de leurs vêtements ; toutes étaient d'âge mûr et ont subi des violences sexuelles, les faits sont peu habituels, il n'y a ni traces d'effraction ni indices, et rien n'a été volé, ce cas est déconcertant pour la police car il n'y a aucun motif plausible.
C'est le récit à peine romancé de cette mystérieuse affaire que Richard Fleischer raconte, le cas des meurtres d'Albert DeSalvo, ouvrier-plombier schizophrène qui souffrait d'un dédoublement de la personnalité. Son film suit scrupuleusement les étapes de cette affaire et réserve une certaine dose de frissons, le ton est volontairement dérangeant quelque part, c'est un film expérimental et pourtant hollywoodien qui en plus utilise une audace formelle avec le procédé du split-screen pour selon Fleischer, accentuer le malaise de l'étude psychologique sur ce cas de schizophrénie. J'ai lu par ci par là que c'était la première utilisation de cette technique d'images juxtaposées en écrans multiples, or j'ai l'impression qu'il y a erreur parce que le split-screen avait déjà été utilisé pour la première fois par John Frankenheimer dans son film Grand Prix en 1966.
L'autre audace : Tony Curtis tout simplement époustouflant dans le rôle de DeSalvo, c'est un sommet dans la composition, et pourtant les producteurs n'en voulaient pas, Fleischer dut insister en présentant une photo de l'acteur (sans son nom) grimé avec une prothèse nasale, les yeux bleus obscurcis par des lentilles et des vêtements défraichis pour les décider, car les gens du studio pensaient que Curtis était trop identifié aux rôles légers. Le sujet était déjà délicat, il fallait un acteur plus "sérieux". Mais ils ont finalement cédé et Curtis a trouvé ce qui reste probablement comme son plus grand rôle. Il est bien entouré par un solide casting avec Henry Fonda, George Kennedy, Hurd Hatfield, Murray Hamilton, Jeff Corey, Sally Kellerman...
La première partie est intéressante par certains détails incongrus, mais la seconde partie vue sous l'angle du criminel est extraordinaire ; Curtis tour à tour pathétique, inquiétant, fascinant, livre donc sa plus impressionnante performance, et Fleischer signe son film le plus remarquable dans un registre qui n'est pas celui du divertissement (comme les Vikings ou 20 000 lieues sous les mers). A noter que DeSalvo fut interné, mais il fut poignardé en 1973 par ses 2 compagnons de cellule.