Les passantes
J'attendais ce film autant que je le redoutais, moi qui avais adoré la discrète ! J'avais vraiment peur de me rendre compte que Christian Vincent n'était qu'un faquin, un pauvre type qui fait du sous...
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le 19 nov. 2015
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J’avais aimé la BA, et notamment cette rencontre où Luchini, alias Michel Racine, face à la belle présence de l’actrice danoise Sidse Babett Knudsen, devenue Ditte dans le film, trahissait par des mimiques extrêmement naturelles, le trouble et l’émotion qui le gagnaient, dans un rendez-vous amoureux se mettant en place sous nos yeux.
Moi qui suis loin d’être une inconditionnelle du comédien, que je trouve souvent cabotin, en dépit, ou peut-être à cause de son talent, ai vu l’homme derrière l’acteur, et c'est l'une des rares fois, à mes yeux en tout cas, où grâce à son jeu très intériorisé, il a su me toucher, voire me séduire, investi d'un charme singulier que je ne lui avais jamais connu auparavant.
Une histoire simple : celle d’un notable de province, président de Cour d’assises dans le Nord, respecté mais surtout craint pour sa sévérité, qui l’a fait surnommer
“Le président à deux chiffres” car il ne prononce jamais de sentences en deçà de dix ans.
L’homme, amer, a raté sa vie personnelle, quitté par une épouse plus riche que lui, ce qui le contraint, l’air absent, son écharpe rouge flottant au vent, à déambuler dans les rues de Saint Omer, traînant sa valise à la recherche d’un hôtel, croisant sans les voir, les gens qui le reconnaissent et le saluent au passage.
Et dans cette existence cruellement dénuée de charme et d’imprévu, où le magistrat rigide a pris le pas sur l’individu, où le prétoire, son seul univers désormais, régit tous ses faits et gestes, conférant à ses paroles et à ses actes le tour implacable qui sied à sa fonction, un nom, soudain, un jour comme tous les autres, frappe son oreille dans l’immuable routine de la Cour, un nom qui trace son chemin dans sa tête et dans son coeur, un nom qu’il reconnaît et désespérait d’entendre à nouveau, un nom qui s’insinue derrière le masque qu’il s’est composé au fil des procès, faisant jaillir dans son regard la petite étincelle, qui lui fait suivre à la dérobée la silhouette d’une jeune femme brune, choisie comme jurée , Birgit Lorensen Cotteret.
Leurs yeux se rencontrent furtivement, on le sent bouleversé, elle ne paraît que surprise, tandis qu’elle s’éloigne avec les autres pour la pause déjeuner.
Ce qui frappe d’emblée dans ce film, c’est la vérité qui se dégage d’une réalisation où rien n'est laissé au hasard : pas d’à peu près ni de vision caricaturale de la justice, pas d’effets de manches ou de discours pompeux, mais la tension et la solennité d’une audience de cour d’assises reconstituée avec soin et réalisme, le cinéaste portant un regard précis sur tout ce qui se joue, tant dans le prétoire que dans les coulisses, nous faisant ainsi participer à une double intrigue et nous passionner pour les deux : celle d’un procès où un jeune père est jugé pour infanticide, et une histoire d’amour qui se développe en parallèle, donnant toute son épaisseur au personnage incarné par Luchini, lequel joue donc sur les deux fronts.
Le passé resurgit chez un homme qui a fait de sa vie un éternel prétoire, où l’on juge, punit, condamne, sans regrets et sans états d’âme, un homme qui semble résigné à ne plus connaître la douceur des êtres, leur fragilité, leur secrète beauté, le bonheur de la compassion et du pardon, et pourtant...
Car il l’avait naguère aimée en secret, cette femme médecin, connue lors de l’opération qu’il avait subie, il avait tremblé lorsqu’elle lui prenait la main, comme à tous ses malades, avec cette chaleur humaine qui le bouleversait, et il avait osé lui écrire, lui déclarer sa flamme, en vain : elle n’avait pas répondu.
Et elle était là, maintenant, devant lui, dans toute sa séduction naturelle et solaire, tant charnelle qu’intelligente, avec son regard d'aigue-marine qui semblait voir au plus profond de son être, un léger sourire flottant sur ses lèvres.
-Pourquoi tu n’as pas répondu à ma lettre?
-C’était difficile pour moi, qu’est-ce que tu voulais que je te dise ?
-Que je t’avais manqué peut-être, que je t’avais manqué, beaucoup.
Et nous sommes saisis à notre tour par cette émotion sensuelle et électrique, par cette charge affective accumulée durant des années, par cet homme, ému comme un collégien, retrouvant la seule femme qu’il ait sans doute jamais aimée, et nous vibrons avec lui, au travers des regards et des paroles échangés dans l’intimité toute relative du café : une scène pudique et d’autant plus intense que tout y est subtilement dosé, révélant les êtres, mieux qu’un long discours, voire qu’un long baiser ou un fiévreux corps à corps.
Une belle alchimie, donc entre Luchini, tour à tour aigri, déstabilisé, vulnérable, épris et plein d’espoir, et cette actrice danoise, naturelle et tellement expressive, dont le regard et le sourire, enveloppant et rassurant, loin des manigances sexy d’autres de ses partenaires féminines, ont permis à l’acteur histrion l'une de ses plus belles performances cinématographiques, transformant le monstre froid du début et l’humanisant, une conversion peut-être “simplette” mais si gratifiante au regard du spectateur !
25 ans après La Discrète, Christian Vincent nous offre une autre perle.
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Créée
le 11 déc. 2015
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