L’heure du loup : celle où l’on nait, ou celle où l’on meurt. Et lorsqu’on est vivant, celle qui fait peur. Cette définition, donnée à mi-parcours du film, éclaire d’une lumière noire les intentions d’une œuvre dévastatrice.


Persona était éclatant de blancheur, L’heure du loup sera une plongée dans l’obscurité. Bergman lâche la bride de ses fantasmes les plus noirs, et se projette dans la figure d’un peintre torturé dont la compagne se mettrait à lire le journal intime. Alors que les premières séquences perpétuent la tradition bergmanienne du récit (le couple et sa mésentente, les confessions face caméra, les portraits figés de face et de profil…), le décor lui aussi traditionnel de l’île (déjà un vecteur d’isolement et de révélations cathartiques dans A travers le miroir) favorise l’irruption d’habitants aussi importuns qu’inquiétants.


Cet idéal constant chez le cinéaste, consistant à tenter de cerner la vérité des êtres, surtout lorsqu’ils sont face à l’autre, atteint un paroxysme hallucinatoire duquel il est difficile de se remettre.


Toute la dérive cauchemardesque du personnage incarné par Max Von Sydow sera vue par d’autres. C’est d’abord l’accès à ses confession par son épouse, puis, surtout, ces invitations mondaines qui vont sans cesse rendre publiques ses attentes, ses fantasmes et ses terreurs. On connait la fascination du monde du spectacle sur Bergman : processions, jeu sur les scènes, les rideaux, les masques, les pantins peuplent son imaginaire jusqu’à la fin de sa vie, et explosent dans le requiem Fanny & Alexandre. Ici, pas de place pour la couleur cependant : les contrastes sont saturés, la concession n’est pas de mise. Maquillé, l’invité supplicié doit tout se permettre : « C’est vous et ce n’est pas vous : idéal pour une rencontre amoureuse », lui dit-on ironiquement…


La première partie de cette phrase valant tout autant pour Bergman, qui avance à peine masqué dans cette déambulation schizophrène. La plongée dans l’inconscient torturé du créateur, la convocation d’une ancienne muse, le réveil d’un souvenir traumatique, tout passe par le prisme malsain d’une révélation face à des témoins. De la chambre à coucher à l’opéra, et jusqu’au cérémonial sacrificiel : la mise en image de l’inconscient se fera avec la violence sadique d’un secret honteux qui serait étalé sur la place publique.


Les confidents sont les figurants idéaux d’un cauchemar : châtelains et vielles rombières, aussi distingués dans leurs apparats que vulgaires dans leurs propos, aussi polis dans leurs manières que pervers dans leurs quêtes de destruction. La visite du château et la plongée dans les abymes reprend l’esthétique déjà si puissante du Silence : corridors, personnages grotesques et monstrueux, dans un baroque expressionniste qui fait penser à un versant obscur de Fellini, et qui annonce les délires visuels et thématiques d’un Lynch ou d’un Lars Von Trier.


Les coups d’éclat suivent les saillies d’un esprit se débattant avec ses démons : c’est le visage sublime de Liv Ullman, le grain de la peau blanche d’une ancienne maîtresse, le crane d’un enfant dans un souvenir estival, ou des visages déformés, voire pelés par la monstruosité.


Œuvre somme, œuvre sombre, qui n’en finit pas de déteindre sur le spectateur, L’heure du loup est une interrogation aux aspérités tranchantes, qui se loge toute entière dans l’absence de conclusion formulée par son protagoniste : « La limite est enfin atteinte. Le miroir est brisé. Mais que reflètent les morceaux ? »


(8.5/10)

Sergent_Pepper
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le 19 nov. 2017

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