L’Heure du loup, une œuvre labyrinthique, qui touche du doigt le drame pour vite s’en détacher et s’orienter vers le lyrisme du fantastique. Le genre d’œuvre qui comme Persona, aura beaucoup influencé des artistes comme David Lynch.


L’heure du loup, est une œuvre qui s’appréhende difficilement, car elle s’avère particulière dans l’enchevêtrement de ses différentes strates narratives, et est comblée d’innombrables zones d’ombres expressionnistes. Au fil des minutes, lorsque le quotidien se dédoublera avec les fantasmes les plus inavouables, le film commencera à séparer étroitement le rêve et la réalité avec une grande virtuosité, pour finir dans une apothéose d’oppression psychologique macabre où l’on plongera littéralement dans l’inconscient d’un artiste hanté par ses propres fêlures intimes.


Alma arrive sur un banc, le visage fatigué, et commence à expliquer les prémices de sa relation avec son mari, Johan. Le couple est venu habiter une île presque déserte. Johan, le mari, est un peintre que l’on sent maladif, mystérieux, au regard vitreux, cachant de lointains secrets, comme nous le confira indirectement son journal intime. Proche de la dépression, Johan est le portrait de l’artiste maudit, qui a besoin de se ressourcer pour se retrouver. L’environnement du film, une île vide, loin de toute forme d’humanité, où les cris s’échappent dans les nuages, est un écho à la solitude du personnage. Le couple, joué par le charismatique Max Von Sydow et la voluptueuse Liv Ullmann, voit une famille voisine les inviter à un banquet, dîner qui ne va pas se passer comme prévu.


Un jeu pervers va alors commencer, et les troubles schizophréniques de Johan vont ressurgir dans la nuit la plus sombre. Outre son histoire, ses thèmes comme l’incommunicabilité du couple, les mensonges, c’est surtout les obsessions de l’artiste, la peur de la création, les peurs intérieures qui sont la toile de fond de ce long métrage cauchemardesque. L’Heure du Loup, malgré son iconographie et sa faculté à se dérober vers l’onirisme, dévoile les peurs réelles d’un artiste, comme si Johan était le reflet mental d’Ingmar Bergman. Le film commence paisiblement, comme une habituelle romance dramatique, montrant leur vie à deux, comme durant ce moment où il se met à peindre sa femme, assise à terre.


Comme souvent, avec Bergman, la mise en scène est minimaliste mais magnifique, ce cadre qui caresse le noir et blanc, inondé de plans fixes, souvent resserrés permettant de mieux filmer les réactions des corps et des visages. David Lynch avec Eraserhead, reprendra certains traits du visage de L’heure du loup avec lequel il entretient quelques liens, à l’image de cette scène de marionnette que l’on pourrait rapprocher de la danseuse au visage tuméfié. L’heure du loup de Bergman est une possibilité pour le réalisateur de se confronter à ses propres démons. Avec audace, Ingmar Bergman fait monter son film en tension avec ce jeu de lumière impeccable, puis les situations verront le trouble se consolider avec la parcimonie des faux semblants, des non-dits qui deviendront irrespirables comme l’atteste ce moment de cette pèche meurtrière avec l’enfant.


A partir du moment, où le couple tombera dans le traquenard de ce diner, tout va basculer dans l’illusion la plus anxiogène. Le réalisateur laissera alors le spectateur seul avec sa propre imagination et ses propres interrogations, où la falaise de l’imaginaire n’aura jamais été aussi prenante, avec cette idée assez brillante de ne jamais dévoiler les œuvres peintes mais de les laisser hors champ, comme si les personnages eux mêmes ne savaient pas ce qu’ils regardent, comme si la temporalité de la création devenait indécise. Seuls les visages horrifiés ou interloqués d’Alma et des autres convives nous donnent des pistes sur la teneur des œuvres.


Les personnages deviennent de plus en plus mystérieux, avec des caractéristiques presque Lynchiennes, leurs rires froids et grotesques, leur regard imbibé de folie, leurs pulsions insidieuses. Les dialogues se font plus austères, plus symboliques et moins naturalistes. Johan tombe alors dans la folie. Dans L’heure du loup, l’heure arrivant avant l’aube, est la plus difficile à vivre, celle où tous ses démons ressortent en lui. Sans que l’on comprenne qui est réellement qui, Johan va se mettre en quête de retrouver le fruit de ses obsessions, la belle et voluptueuse Veronica Vogler.


Fruit de son passé, de ses rêves, double identitaire, simple illusion, difficile de le dire, et Johan s’enfonce alors dans le plus profond de son esprit pour ne plus jamais en ressortir. Avec délicatesse et finesse, L’heure du loup, joue les troubles fêtes faisant et navigue entre fantasme et réalité, enveloppant son récit d’une atmosphère inquiétante unique, et nous propulsant dans la fugue psychique d’un homme torturé.


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Velvetman
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le 16 févr. 2014

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