"La Bataille de Russie" est une œuvre de propagande à la puissance équivalente de celle déployée dans "Sachez reconnaître votre ennemi : le Japon", à la différence près qu'elle est ici canalisée dans une direction favorable à l'URSS. Un film américain auteur d'un éloge aussi vigoureux à l'encontre de cette nation, il faut avouer que c'est assez cocasse, vu d'aujourd'hui, après des décennies de Guerre froide et de divers différends. Mais elle était encore bien loin, en 1943, et le temps était alors à la coopération internationale pour vaincre les forces de l'Axe. Le soldat soviétique est ainsi un homme de courage et d'abnégation luttant vaillamment contre l'armée nazie, quel que soit le lieu, quelles que soient les conditions météorologiques, et quel que soit l'état des rapports de force : un surhomme, en quelque sorte.
Bien sûr, il n'est quasiment jamais fait référence à l'URSS en tant que telle (une seule fois, pour décrire l'acronyme) ou à n'importe quelle terminologie liée au socialisme soviétique : il est question de la Russie, tout simplement. Lénine et Staline sont évoqués une seule fois. Mais tout de même, dans le cadre d'un document américain... C'est aussi incroyable que fascinant.
Et intéressant, également, du point de vue purement historique. Il s'agit bien entendu d'un film de propagande, donc la vision de la réalité est au mieux partielle (aucune mention au traité de non-agression de 1939, par exemple). Elle n'en reste pas moins étonnante, tant les mêmes outils d'analyse utilisés deux ans plus tard dans le pamphlet anti-Japon sont utilisés ici pour décrire un peuple fort et fier, qui a su se défendre valeureusement au cours des siècles, des chevaliers teutons du 13ème siècle aux troupes suédoises du 18ème, en passant par Napoléon et les Allemands de la Première Guerre mondiale. Encore une fois, l'objet est de décrire une population (nouvellement alliée ici) et de produire un historique des combats menés en ce début de Deuxième Guerre mondiale. Le récit est très didactique, aux quatre coins de l'Europe, appuyé par de nombreuses cartes et extraits de prises de vue réelles, et s'attarde sur de nombreux symboles de la résistance soviétique contre l'envahisseur nazi, comme Leningrad et Stalingrad.
Un pays décrit comme débordant de diversité culturelle et de ressources naturelles, d'une richesse humaine et culturelle sans limite. Le tout sans jamais mentionner la notion de communisme : il fallait le faire. On ne compte plus les citations élogieuses de généraux américains à l'égard du peuple russe, présentées en introduction et vantant les mérites d'un peuple aussi courageux. Les tactiques militaires allemandes sont également détaillées, avec notamment quelques éléments liés à la pratique du Blitzkrieg et à la défense soviétique érigée en conséquence dans les régions du Caucase. "Le Dessous des cartes" avant l'heure, décidément, en effet.
Bien que Frank Capra soit crédité comme premier réalisateur, il y a fort à parier que l'influence du co-réalisateur Anatole Litvak (d'origine ukrainienne) fût déterminante dans l'angle d'attaque du documentaire et dans la glorieuse description du peuple russe.