Boyhood, chronique d'une désillusion

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Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment est-il possible d’obtenir une corrélation si faible entre un projet merveilleux sur le papier (filmer l'enfance et l'adolescence sur une période de 12 ans en suivant l'évolution d'un même acteur de 6 à 18 ans, quand même, on ne voit pas ce genre de projet tous les jours !) et un résultat aussi insipide à l'écran ? L'opprobre me guette, à la lecture des commentaires dithyrambiques glanés çà et là sur le net, mais il m’est bien impossible de nier l'ampleur de la déception.

Deux explications me viennent à l'esprit.
Douze années de tournage n'apparaissent tout simplement pas à l'écran de manière transcendantale. Il se dégage un certain réalisme, difficilement contestable, mais est-ce suffisant ? Filmer la vie quelque peu compliquée d'une famille éclatée, quand bien même ce serait fait de manière très réaliste, suffirait donc à faire un bon film ? Ou bien un bon documentaire ? Peut-être y a-t-il confusion entre l’appréciation de l’idée de base, qui a toutes les raisons d’être plébiscitée, et l’appréciation de l'œuvre finale ? J'ai comme un doute.
Richard Linklater est peut-être également passé à côté de son sujet, en se focalisant sur l’emballage au détriment du contenu. Comment se fait-il que de ces conditions de tournage draconiennes se dégage un propos si superficiel, sans réelle profondeur ou originalité ? N'a-t-on jamais vu au cinéma une meilleure description de l'errance de l'enfance ? Si : "Le Petit Fugitif", "Alice dans les villes", etc. Une meilleure description des contradictions de l'adolescence et des récits d'apprentissage qui en découlent ? Si : "Stand By Me", "Mud", etc. Une meilleure description des relations familiales conflictuelles et de leurs conséquences sur la construction de l’adolescent ? Si : "À Bout de Course", "Fish Tank", etc. Même le réalisme de la description de ces moments si particuliers, difficilement captés par une caméra, a déjà été traité (certes différemment) dans des films comme "Tomboy" ou "Jeux Interdits", non sans émotion. Quelle est donc la valeur ajoutée de "Boyhood", en dehors de ces aspects qui semblent cantonnés à la quantification du degré de réalisme ? N'aurait-il pas été plus judicieux de filmer une vraie famille à ce compte-là (plutôt que sa propre fille… mais je m’égare et vire à la mauvaise foi), pour pousser le concept jusqu’au bout ?

Il y a aussi quelque chose d’extrêmement dérangeant dans la forme. Était-ce une obligation d'asséner au spectateur ces passages musicaux lourdauds (mais en phase avec l’état d’esprit adolescent) et ces remarques politiques plutôt faciles (certaines scènes sont plutôt marrantes mais critiquer Bush ainsi, quelle audace) pour bien souligner l'année en cours ? On entend presque Linklater crier “Vous les voyez, chers spectateurs, les années qui défilent ? Vous avez bien saisi la référence (musique, film, jeu) à telle année ?” Le réalisme du procédé n'était pas suffisant en soi et nécessitait ces ellipses artificielles, chaque changement de période étant invariablement ponctué par ces changements de coiffure caractéristiques des films tournés de manière "classique" ? Un tel niveau d'explicitation est assez désagréable, on a l'impression que l'immense richesse du matériau de base est à peine effleurée. Plutôt que d'assurer la promo de tous les produits Apple (je ne suis pas pratiquant mais je crois que c'est assez exhaustif) et autres biens de première nécessité, n'aurait-il pas été possible, avec la même application, d'user du pouvoir de suggestion pour décrire cette évolution ?

Beaucoup d’interrogations, donc, à la hauteur des attentes que suscite un tel contexte de production. La faute aux maquilleurs qui font trop bien leur travail au cinéma et réduisent l’intérêt du vieillissement naturel ? Mystère. Une chose est sûre : "I thought there would be more"...


NB: L'évolution de Mason (Ellar Coltrane) en images : http://www.je-mattarde.com/public/RENAUD/CINEMA/boyhood/ellar_coltrane.jpg

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le 20 juil. 2014

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Morrinson

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