Citation d'Alain (Émile-Auguste Chartier)
Cette critique n’était pas prévue, mais ça fait longtemps que je ne me suis pas présenté comme avocat du diable, alors j’ai envie de vous parler aujourd’hui d’un film méconnu et mal noté que j’ai pourtant adoré. Un film pour enfant a, plus que dans le reste du cinéma, deux grands objectifs : faire rêver et instruire. Mais en ce qui concerne “La Bataille géante de boules de neige” on serait presque face à une démarche d’un film plus adulte, tant le besoin de véhiculer un message est au centre des attentions. Alors oui bien sûr, il suffit d’être attentif pour voir cet amour de l’hiver Québecois, aux sports d’hivers, au petits villages campagnards et surtout aux batailles de boules de neige. Le film lui même est une invitation au rêve et à l’enfance par l’absence d’adultes faisant des enfants les seuls maîtres à bord, jamais aussi libres mais surtout jamais autant enclin à subir le courroux de leur intense jeunesse. En fait le simple fait que le film ne raconte finalement que les vacances endiablées de mômes devrait suffire à tous nous mettre d’accord sur cette invitation à l’aventure juvénile. Et pourtant tout ceci n’est qu’anecdotique, limite négligeable tant l’histoire proposée est forte et lourde de sens, au point d’éclipser le rêve, au point de rendre peu compréhensible sa fin par les enfants. On en viendrait presque à se demander si “La Bataille géante de boules de neige” ne s’est pas trompé de public.
Le film essaie réellement de balayer toute trace des adultes dans ce film, (au point ou la mère du héros est coupée dans la photo), pour obliger les enfants à faire des choix d’adultes, sans qu’il y ait le moindre secours en cas d’erreur. Le film tente de nous faire comprendre que son message ne touche pas que les enfants voir même qu’il est adressé aux adultes. Mais il y a cependant un réel adulte présent dans l’histoire, ou tout du moins son héritage. Le père de Luc qu’on imagine mort au combat lui a donc légué un instrument militaire que le personnage percevra jusqu’à lors comme une arme rassemblant les soldats avant la bataille. C’est d’ailleurs à partir de là qu’on peut essayer d’établir un parallèle entre 4 personnages que tout oppose. D’un coté un Luc qui réfléchit surtout pour la gloire, entraîné par ses amis qui le traitent en héros mais aussi par rapport à l’héritage de son père. C’est d’ailleurs cette façon de penser qui va empêcher au début sa relation avec Sophie, car par orgueil (en fait plus par peur de se montrer faible), il va essayer de se montrer supérieur à elle, n’hésitant pas à se mentir. Pour lui tenir tête on a Pierre, en fait non, il est tout l’inverse de Luc, il n’a pas besoin des autres, préfère même être loin des hommes. Le vrai adversaire de Luc (autre que lui même et Sophie) c’est bien François, homme de fort caractère et génie, qui construit l’emblème du film, l’énorme château fort de neige. Et donc comme vous l’en doutez face à lui on retrouve Jean, homme faible qui ne fait qu’aduler Luc et qui par conséquent le rend (contre la volonté de Luc qui n’a jamais réellement décidé de devenir leader) d’autant plus influent. On a donc deux duos opposés idéologiquement...mais pas physiquement. Les moins attentifs d’entre nous n’ont même du se rendre compte de l’identité des personnages que durant leur première altercation.
Ce rapprochement dans l’opposition a un but précis : nous empêcher de prendre parti et garder une vu d’ensemble sur les évènement, et le fait que ce soit les personnes présentées comme protagonistes qui se retrouvent à attaquer en premier aide aussi pas mal.
Mais en réalité, on peut féliciter les scénaristes pour le peu de manichéisme et la justesse dans l’écriture de ses personnages. On peut notamment parler du cas de Sophie qui n’est pas un trophée mais belle et bien un personnage à part entière, et sans tomber dans le stupide portrait de la femme forte, comme tous les autres elle est montrée avec ses qualités et ses défauts, et elle peu tomber amoureuse sans que cela la décrédibilise (ce qui est logique, à se demander pourquoi Hollywood aime tant jouer dans les excès).
Cette attention toute particulière dans la manière de raconter son histoire et de prendre du recul vis à vis des personnages a un but précis : Nous parler de guerre. Et pas de simples batailles comme dans la guerre des boutons, mais bien de combats sanglants analysés par la métaphore d’une bataille de boule de neige.
Luc impressionne par son charisme naturel, ce qui est suffisant pour tenir les gens en respect, mais pas pour les rassembler derrière lui. Cette idée de bataille n’avait pas pour but de déclencher tout ce qui va suivre mais de facto elle a rassembler tout le monde autour d’ennemis communs (quoi de mieux pour rassembler tout le monde derrière soi), et quoi de mieux qu’un insociable et un génie, faible mais représentant une menace pour cela. Mais voilà l’opposition n’avait aucune raison de faire la guerre, on en lui a donc trouvé une pour que la guerre ait lieu, mais qui va entraîner Sophie et sa sœur dans le conflit, au grand désespoir de Luc qui va se retrouver malgré lui entre 2 fronts : sa position de chef et son amoureuse.
Mais cette première journée est tranquille, les enfants jouent et s’amusent, on est plus proche de l’amusement que d’une réelle bataille, le héros va même pouvoir poursuivre sa relation avec Sophie. Alors, à quel moment est-ce que ça part en vrille ?
Le rapprochement des deux camps amène la méfiance qui mène à l’euphorie qui amène à la peur qui amène à la haine. C’est ainsi qu’on va se retrouver avec des groupes de plus en plus divisés et de plus en plus immorales, là ou la première règle transgressée se faisait au nom de l’amour et ne portez préjudice à personne (le fait que Luc et Sophie puissent communiquer alors qu’ils sont dans des groupes opposés), celle qui vont suivre seront au mieux amorales au pire dangereuses. Chacun des camps va commettre des fautes, même Sophie qui jusqu’à maintenant représentait la voie de la raison va faire infraction au code par peur d’être mal vu par les membres de son équipe.
Ce qui calmera le jeu c’est une guerre de position éloignée, ou chacun essaie de défendre sa base. En l’absence de conflit les armées sont dissoutes, ou pas, car il manquait une ultime bataille pour conclure la chose de manière plus épique, mais c’était sans oublier que maintenant tout les coups étaient permis, il ne fallait plus battre l’adversaire pour s’amuser, mais les écraser pour les humilier. On va donc répondre à la question que se pose les parents effarouchés : Pourquoi le chien devait mourir ? Avec cette bataille de boule de neige on déconstruit ici la guerre en entraînant les enfants dans une spirale de haine et de violente qui vont presque disloquer leur bande d’amis. On peut voir dans la première bataille que les “enfants soldats” font semblant de mourir, car comme tout le monde ils ont un fantasme morbide autour. Si il n’y avait pas eu de dommage collatéraux (si on peut qualifier la mort ainsi) les enfants ne se seraient pas rendus comte de la situation dans laquelle ils se sont mis. Et si le chien avait survécu à ses blessures le message en aurait été biaisé, car il y a une volonté de mettre en garde, de signifier qu’une fois la spirale lancée il est extrêmement dure de l’arrêter, car même si les combats se stoppent la haine peu persister. La mort de Cleo est un rappelle à la réalité et à l’horreur de la guerre, qui résonnent en Luc plus que dans personne d’autre lui qui a déjà perdu son père au front. Il a d’ailleurs une rédemption grâce à son instrument, en comprenant que celui ci n’est pas tant un appel à la guerre qu’un moyen de rassembler les gens, mais surtout d’honorer et pleurer les morts. Scène d’ailleurs absente du film original, (à oui j’ai oublié de le dire mais ce film est une adaptation d’un film live canadien des années 1980) preuve d’une certaine prise en main de l’équipe qui ne se contente pas de suivre aveuglément l’original. C’est d’ailleurs cette rédemption qui va marquer la fin de la guerre, et le retour à la normal avec enfin tout le monde sur un même pied d’égalité.
C’est tout ça qui fait le génie de ce film, et qui est détruit par sa suite, dont on va parler brièvement et qui est plutôt intéressante compte tenu du fait que maintenant qu’on est plus soutenu par le scénario originel. On est revenu dans un film classique qui perd de son identité mais aussi ironiquement de sa logique avec le premier opus (Par exemple il aurait été plus intéressant de se pencher d’avantage sur le deuil de Pierre et la relation entre Sophie et Luc) pour un résultat manichéens et vide sous fond de gentils contre méchants et de pouvoir de l’amitié. Et c’est dommage si on peu d’abord penser qu’une suite serait inutile, on peut tout de même penser que les répercutions de tout ce qui s’est passé aurait été intéressante à visualiser, complétant l’œuvre de base en montrant l’après guerre. Mais c’est un échec, un échec que j’aime beaucoup (surtout par plaisir de retrouver mes personnages adorés) mais un échec quand même, mais cela n’entache rien au fait que le premier dessin animé soit excellent, au point de dépasser son prédécesseur. Ce deuxième film sublimerait presque l’excellence du premier tant il met en valeur ses qualités.
“La Bataille géante de boules de neige” est sans doute un des meilleurs films d’animation de ces dernières années, notamment pour son approche si adulte, presque dure de la réalité. Peu être que le temps lui rendra justice et qu’un jour, on le rangera sur la même étagère que les Disney.